Il est des historiens qui ont marqué l’Histoire par leur façon de la raconter. Henri Guillemin était de ceux là. Spécialiste du XIXième siècle et de l’Histoire contemporaine, il aura marqué les esprits par ses incroyables talents de conteur sur les ondes de la RTBF, de la TSR ou de Radio Canada. Reconnu pour son honnêteté de travail, il l’est aussi pour ses révélations sur de grandes personnalités ou grandes affaires de l’Histoire (la Révolution, Napoléon, la Commune de Paris, Pétain…). Fin limier de la vérité historique et dénonciateur des impostures dans notre Histoire récente – que l’on a trop souvent réécrite à la faveur des réalités politiques du moment – il a animé avec passion des conférences grands publics sur ses recherches pendant 20 ans. Voici un retour en deux volets sur les vérités de Monsieur Guillemin.
La suite de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin sera publiée la semaine prochaine, avec notamment les conférences sur Pétain et Vichy.
1/ Un Napoléon bien différent de son image traditionnelle
Henri Guillemin n’hésite pas à dépeindre Napoléon de façon très inhabituelle, très éloignée de sa légende. Vénal, opportuniste, très politique, chanceux et arriviste, Bonaparte est présenté comme une personne ne croyant en rien et prêt à tout pour réussir.
L’historien détaille comment Bonaparte a fait le jeu de la classe dominante au détriment des acquis de Robespierre. Comme par exemple, lors de la création de la Banque de France, garantie par le public mais bénéficiant au privé. Napoléon a étranglé la République, ce qu’il avouera lui-même fièrement à Saint-Hélène en déclarant « j’ai rétabli la propriété et la religion« . Une vision confirmée par Jacques Bainville: « il a fait cesser la lutte des classes » et le comte Mollien « Il a mis fin au gouvernement populaire […] il a assis définitivement la bourgeoisie au pouvoir« .
Guillemin révèle aussi, de façon étonnante comparé à son image, combien Napoléon avait en réalité une faible idée de la France, la voyant exclusivement comme un moyen et non comme une fin. L’Empereur n’avait pas non plus une grande idée de l’être humain et des Français, lui qui disait à Talleyrand « j’ai 300 000 hommes de rente annuelle » (sous-entendu je peux faire tuer 300 000 jeunes Français par an pour mes batailles). Napoléon finalement plus proche de Berlusconi que de De Gaulle
Napoléon serait donc plus à voir comme une sorte de brillant mafieux corse qui a fait main basse sur la République Française naissante à son profit, en plaçant toute sa famille et des gens qui lui seraient redevables à tous les postes clés ; plutôt que comme un administrateur génial auquel la France devrait tout.
En résumé si l’on devait le comparer à un personnage contemporain, il tiendrait plus du Sylvio Berlusconi que de Charles de Gaulle: cupide, affairiste, prêt à tout, opportuniste, mégalomane, calculateur, bling-bling et versatile.
2/Les multiples trahisons des « honnêtes gens »
Le plus étonnant lorsque l’on parcourt les conférences d’Henri Guillemin d’une époque à l’autre, c’est la mise en évidence d’une certaine récurrence de l’Histoire de France concernant trahison des « honnêtes gens » vis-à-vis de la Nation. [NDLR: dans les textes de Guillemin, l’expression « honnêtes gens » est à prendre selon sa définition de la fin du XIXième: il s’agit des « gens de bien(s) » ou le la classe possédante, qui se qualifiaient eux mêmes « d’honnêtes gens » par opposition aux plus pauvres qu’ils suspectaient de vouloir atteindre à leur propriété].
Guillemin explique comment à divers moment de l’Histoire, une majorité de la classe possédante a été amenée à trahir la nation pour préserver ses intérêts: que ce soit en 1792 en faisant appel aux princes étrangers contre la Révolution, en 1870 lors de la guerre contre la Prusse ou en 1940 lors de l’invasion Allemande. Il explique comment les gens de bien ont régulièrement fait le choix de la défaite, en préférant l’ennemi extérieur pour mieux écraser l’ennemi intérieur : le peuple. Son dossier sur Adolphe Thiers accusé d’avoir fait le jeu de l’Allemagne de Bismarck contre le peuple de Paris, est à ce titre une révélation absolument terrible.
La classe possédante Française a trahi la France a de multiples reprises pour préserver ses intérêts: en 1792, en 1870, et en 1940.
Il détaille aussi comment, tout au long du XIXième siècle, les « honnêtes gens » utilisent divers procédés pour faire se tenir tranquille le petit peuple (en reprenant le terme de « cariatide » introduit par Victor Hugo). Ce sont d’abord les curés à qui l’on confit l’entièreté de la charge de l’éducation des enfants en 1850, pour leur apprendre la résignation sociale, avant que Jules Ferry ne demande aux instituteurs de l’école Républicaine laïque et obligatoire de prendre le relais dans les années 1880. Les gouvernements changent mais les méthodes demeurent.
3/ La première guerre mondiale et ses raisons obscures
Dans sa série de conférence sur l’avant guerre de 14, Guillemin raconte comment année après année, tout au long de la seconde moitié du XIXième et au début du XXième siècle, la mise en place de l’impôt sur le revenu est repoussée à chaque fois de peu par les « honnêtes gens ». Si bien que lorsqu’en avril 1914 la gauche devient pour la première fois majoritaire à l’Assemblée, et qu’elle vote le fameux impôt le 15 Juillet, on n’est qu’à quelques jours du début de la guerre qui sera déclarée le 4 Aout. Faut-il y voir une coïncidence ? Toujours est-il qu’en raison de la guerre, l’impôt sur le revenu ne sera pas véritablement effectif en France avant des décennies (tout comme la taxe sur les bénéfices de guerre définitivement enterrée par la nouvelle chambre de 1919).
Pendant 40 ans la gauche Française a tenté d’instaurer l’impôt sur le revenu. Elle parvient enfin à le faire voter le 15 Juillet 1914, mais la guerre est déclarée le 4 Août…
La « Providence »… le terme est drôlement choisi, surtout quand on sait qu’à l’époque la politique étrangère est portée par le président de la République, Raymond Poincaré qui avait été investi par la droite républicaine en 1912. Le même Poincaré qui fin Juillet 14 s’est rendu en Russie pour consolider les alliances qui allaient conduire l’Europe dans la guerre…
La suite de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin sera publiée la semaine prochaine, avec notamment les conférences sur Pétain et Vichy.
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