Vases communiquants: pourquoi la réforme des retraites complique la lutte contre le chômage

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Allonger la durée de cotisation pour rétablir l’équilibre des caisses de retraites sans avoir à toucher au montant des allocations, c’est à première vue une idée saine d’esprit. Elle avait été retenue par Sarkozy et Hollande s’apprête à poursuivre dans la lignée. Sauf qu’en période de crise, et donc de destruction nette d’emploi, allonger la durée du travail, c’est envoyer des gens au chômage ! C’est ce qu’explique Luc Legoux, démographe, maître de conférence à l’Institut de Démographie de l’Université Paris 1, dans un courriel aux adhérents d’ATTAC que nous reproduisons ici.

« Démographe à l’Université Paris1 je vous envoie un graphique réalisé à partir des données de l’Insee qui explique à lui seul une grande partie de la croissance du chômage, et surtout pourquoi le nombre de chômeurs devrait croître d’environ un million durant le quinquennat de François Hollande suite à une décision de Nicolas Sarkozy en 2010.

Lien entre la réforme des retraites et la hausse du chômage

Augmentation de la population d’âge actif avec la réforme des retraites

Les nombreux commentaires sur la réforme des retraites n’analysent jamais ou presque son impact sur la population d’âge actif. Or cette réforme accroît à terme en 2018 la population d’âge actif de plus de 1,6 million de personnes sans créer le moindre emploi. Une croissance du nombre d’actifs sans croissance équivalente du nombre d’emplois implique mécaniquement une croissance du nombre des chômeurs ; la croissance du taux d’activité des séniors ainsi obtenue impose une croissance du taux de chômage des jeunes.

Le nombre de chômeurs devrait croître d’environ un million durant le quinquennat de François Hollande suite à une décision de Nicolas Sarkozy en 2010.

Bien entendu, ce graphique ne reflète pas totalement la complexité de la situation puisque l’âge d’activité n’est pas limité de 20 ans à l’âge d’ouverture des droits à la retraite, certaines personnes commencent à travailler avant ou après 20 ans, d’autres arrêtent après l’âge d’ouverture des droits, d’autres encore ne sont pas actives, et l’âge d’ouverture des droits n’est pas le même dans les régimes spéciaux (mais il est relevé dans les mêmes proportions). Si calculer précisément tous ces éléments est difficile, on peut estimer sans crainte de se tromper que la réforme des retraites n’augmente pas la population active de 1,6 million mais de plus d’un million.

La réforme des retraites de 2010 s’applique aux personnes nées après le 1er juillet 1951 (60 ans après le 1er juillet 2011). Elle n’a donc commencé à faire augmenter la population active qu’à partir du deuxième semestre 2011, et d’une manière très progressive, l’âge d’ouverture des droits étant relevé de 4 mois tous les ans pour les générations suivantes, jusqu’à 62 ans pour la génération 1956 (ouverture des droits en 2018). L’effet sur la croissance du chômage s’étale donc sur tout le quinquennat de François Hollande.

Si la politique de redressement productif réussissait à éviter les destructions nettes d’emplois, ce qui serait une prouesse en période de crise, il y aurait tout de même un million de chômeurs en plus en 2017. Avec un retour à la retraite à 60 ans le nombre de chômeurs aurait pu diminuer puisque la population entre 20 et 60 ans exacts diminue légèrement dans les projections de l’Insee.

Le refus de François Hollande d’abroger la réforme de Nicolas Sarkozy et de financer les retraites par une hausse des cotisations le condamne à l’échec dans la lutte contre le chômage. »

Voir dans le même genre notre article sur démystification de la dette publique Française aussi proposée par ATTAC.
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Citation de Françoise Dolto

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Francoise Dolto, psychanalyste

« Les enfants sont les symptômes des parents. »

Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste Française, (1908-1988)

Retrouvez toutes les citations classées par auteur.
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Henri Guillemin, le maitre de conférence de l’Histoire démystifiée (2/2)

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 Il est des historiens qui ont marqué l’Histoire par leur façon de la raconter. Henri Guillemin était de ceux là. Spécialiste du XIXième siècle et de l’Histoire contemporaine, il aura marqué les esprits par ses incroyables talents de conteur sur les ondes de la RTBF, de la TSR ou de Radio Canada. Reconnu pour son honnêteté de travail, il l’est aussi pour ses révélations sur de grandes personnalités ou grandes affaires de l’Histoire (la Révolution, Napoléon, la Commune de Paris, Pétain…). Fin limier de la vérité historique et dénonciateur des impostures dans notre Histoire récente – que l’on a trop souvent réécrite à la faveur des réalités politiques du moment – il a animé avec passion des conférences grands publics sur ses recherches pendant 20 ans. Voici un retour en deux volets sur les vérités de Monsieur Guillemin.

La première partie de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin a été publiée la semaine dernière, avec notamment les conférences sur Napoléon, la Commune de Paris et l’avant guerre de 14.

4/ Le maréchal Pétain et le régime de Vichy

Henri Guillemin se prononce clairement contre la réhabilitation de Philippe Pétain. Il avance plusieurs arguments qu’il égrène tout au long de son cycle de conférences sur le Maréchal.

  • En regardant de plus prêt, il s’avère que le « vainqueur de Verdun » (comme l’appelle les partisans du maréchal) est plus Nivelle que Pétain qui n’a été au commandement que 8 semaines sur les 10 mois de bataille.

    Pétain n’a dirigé les armées à Verdun que 8 semaines sur les 10 mois qu’a duré la bataille

  • Pétain a été enthousiaste et précurseur des volontés Allemande sur les lois antisémites
  • En créant la milice il a permis à des Français de tuer d’autres Français pour faire le jeu de l’occupant.
  • Si sa politique extérieure a été construite autour d’un certains équilibre (le Maréchal a longtemps espéré un renversement d’alliance et cru qu’il pourrait convaincre les Américains de s’allier avec les Allemands contre les Soviétiques), sa politique intérieure au contraire a été sans ambiguïté et parfaitement anticipée.
Henri Guillemin, historien et conférencierd e l'Histoire démystifiée

Henri Guillemin, lors d’une de ses conférences à la télévision

Et c’est sur ce dernier point que les révélations d’Henri Guillemin sur Pétain et la droite Française sont le plus intéressantes. Anti-républicain convaincu, terrifié par la contestation de gauche, Pétain et ses partisans avait envisagé sa politique dès le début des années 30. Une fois parvenu au pouvoir, c’est donc de façon purement réfléchie et sans improvisation qu’il a mis en place sa « révolution nationale ».

Pour preuve cette incroyable citation de son ami Gustave Hervé qui déclarait en 1935 et 1936, dans une série d’article publiée dans son Journal « La Victoire« , (et réunis sous le titre « C’est Pétain qu’il nous faut« ):

« C’est en temps de guerre que l’on peut réussir à renverser la République […] en particulier en cas de désastre » (Gustave Hervé, ami du maréchal, 1936)

« Si Pétain arrive au pouvoir, on balancera le parlementarisme, on organisera une censure de la presse, on détruira la CGT, et on fera une révolution dite nationale. […] Ce n’est pas en temps de paix que l’on peut réussir à renverser la république, c’est en temps de guerre et particulier en cas de désastre ».

Dans le même registre, le maréchal Pétain déclare dans une lettre à sa maitresse Américaine Mrs Pavly en Octobre 1938: « C’est sous peine de mort qu’il faut changer la politique intérieure Française, mais les Français n’ont pas encore assez souffert« .

Enfin, pour confirmer l’état d’esprit de la droite Française de l’époque, Thierry Maulnier dans son journal Combat expliquait en Novembre 1938 de façon encore moins ambigüe:

« Beaucoup de gens raisonnables estimaient qu’une défaite de l’Allemagne eut signifié l’écroulement des systèmes autoritaires qui constituaient le principal rempart à la révolution communiste. En d’autres termes qu’une victoire de la France eut été celle de principes considérés à juste titre comme menant droit à la ruine de la civilisation. […] Il est regrettable que les hommes et les partis qui avaient cette pensée ne l’aient pas en général avouée, car elle n’avait rien d’inavouable. J’estime même qu’elle était une des principales raisons, et des plus solides, sinon la plus solide, pour ne pas faire la guerre à l’Allemagne. » (NDLR: au moment des accords de Munich en Septembre 1938).

Au sujet de la collaboration Guillemin rapporte aussi une extraordinaire citation d’Adolf Hitler recueillie par Hermann Rauschning dans son livre « Hitler m’a dit » publié au printemps 1939. Hitler se vante auprès de l’auteur d’une nouvelle technique pour faire la guerre appelée « dislocation psychologique de l’ennemi« :

« Partout en pays ennemi nous aurons des amis qui nous aiderons. Nous n’aurons même pas besoin de les acheter, ils viendront à nous spontanément […] Nous aurons avec nous les classes dirigeantes et possédantes » (Adolf Hitler, 1933)

« Jamais je ne commencerai une guerre sans avoir auparavant la certitude que l’ennemi démoralisé d’avance succombera sous mon premier choc. Partout en pays ennemi nous aurons des amis qui nous aiderons. Nous n’aurons même pas besoin de les acheter, ils viendront à nous spontanément. J’entrerai en France en champion de l’ordre social. Nous aurons avec nous les classes dirigeantes et possédantes, c’est à dire ces milieux d’affaires pour qui un seul mot du vocabulaire politique s’écrit en lettre capital c’est le mot profit. Ces collaborateurs spontanés n’auront pas de peine à trouver des phrases patriotiques servant d’habillage à leur jeu ».

5/ Guillemin et le parti pris de la vérité

Guillemin se gausse régulièrement de la soit-disante objectivité de l’historien: selon lui, même si elle doit rester un idéal vers lequel tendre, il est impossible de rester totalement objectif. Comme il le dit lui-même « Certes quand il s’agit des Assyriens, c’est différent, mais pour l’Histoire récente on est forcément un peu subjectif« .

L’essentiel du travail de d’Henri Guillemin et sur l’époque contemporaine avec un tropisme sur le XIXième siècle. L’une des rares fois où il s’est aventuré sur un autre terrain, lors de sa série de conférences sur Jeanne d’Arc, il semble moins à l’aise et plus contesté par ses confrères. Comme si le cœur de son intérêt gisait dans la France moderne.

« Aux yeux de certaines gens quand elle déplait la vérité perd son nom, et ce qui dérange les idées reçu perd le droit d’avoir existé » (Henri Guillemin)

Il est étonnant qu’il n’ait jamais trouvé place sur une antenne Française de son vivant (un comble pour des conférences sur l’Histoire de France), se réfugiant sur les ondes étrangères francophones: Belges (RTBF), Suisses (TSR) ou Canadiennes (Radio Canada). La faute sans doute à ses multiples dénonciations de l’Histoire enseignée à l’école, comme étant « bien pensante », trop apolitique et trop éloignée de la vérité, ainsi qu’à sa volonté continue de démystification, tout en n’hésitant pas à écorner les mythes. C’est si vrai qu’il faudra attendre 2005 pour que la chaîne Histoire diffuse ses émissions sur Napoléon.

Régulièrement accusé de parti pris il doit se justifier en permanence dans ses conférences de ne pas monter de dossier à charge. Ses exposés sont ainsi très documentés avec de nombreux citations, témoignages, articles de presse etc… Comme il l’avoue lui même c’est la vérité qui est son obsession:

« C’est la vérité qui m’intéresse, et je me rappelle une phrase de Robespierre. Robespierre qui avait dit à la tribune des choses qui déplaisaient avait répondu ‘Mais c’est la vérité qui est coupable’. Mais vous savez aux yeux de certaines gens quand elle déplait la vérité perd son nom, et ce qui dérange les idées reçu perd le droit d’avoir existé. »

Au fil des conférences, on devine également les convictions personnelles de Mr Guillemin. Celles qui l’ont amené à choisir Rousseau plutôt que Voltaire, Robespierre plutôt que Danton, Lamartine plutôt que Constant, Vallès plutôt que Thiers ou Jaurès plutôt que Ferry… Des convictions qui ne l’empêche pas d’étayer robustement ses déclarations dans des conférences indispensables à qui souhaite un éclairage politique pour comprendre notre Histoire récente.

La première partie de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin a été publiée la semaine dernière, avec notamment les conférences sur Napoléon, la Commune de Paris et l’avant guerre de 14.

Écouter Henri Guillemin aujourd’hui (toutes les conférences sont disponibles gratuitement):

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Le « I want my money back » de Margaret Thatcher

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La Liberté guidant le peuple, images historiques, mémoire collectiveCes images qui ont fait l’Histoire…

Chaque semaine, une image ou une photo qui a marqué notre mémoire collective. L’occasion de revenir sur les évènements majeurs et les « images d’Épinal » qui ont façonné notre souvenir du passé.

30 novembre 1979: à Dublin, le sommet des chefs d’État et de gouvernement des neuf pays de la Communauté européenne vient une nouvelle fois de s’achever sur un échec patent. Le Royaume-Uni contribuait à cette époque plus au budget européen qu’il n’en bénéficiait. Margaret Thatcher, interrogée par un journaliste du Guardian (M. Palmer) à la sortie de la conférence, bouscule le climat feutré des grand-messes communautaires et lance une formule qui va faire le tour du monde et provoquer une des crises majeures de l’histoire de la Communauté Européenne.

« Ce que je veux, monsieur Palmer, c’est tout simple: je veux qu’on me rende mon argent » (NDLR: « I want my money back »).
En gros, quand nous donnons 2£ , nous récupérons 1£. […] Nous ne demandons pas d’argent à la Communauté européenne, nous voulons que la Communauté nous rende notre propre argent. »

Cette ligne directrice donnée à la politique Européenne Britannique par Margaret Thatcher – qui restera au pouvoir plus d’une décennie –  pose durablement l’image de la Premier Ministre, et statue pour longtemps les relations Anglo-Européennes. Encore aujourd’hui l’héritage de Thatcher fait du Royaume-Uni un état « à part » de l’Union, régulièrement suspecté par les continentaux (à tord ou à raison) de saborder le navire Européen.

Novembre 1979: Margaret Thatcher lors du sommet européen de Dublin ou elle a fait sa fameuse déclaration 'I want my money back" en conférence de presse

Novembre 1979: Margaret Thatcher lors du sommet européen de Dublin ou elle a fait sa fameuse déclaration ‘I want my money back » en conférence de presse

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Henri Guillemin, le maitre de conférence de l’Histoire démystifiée (1/2)

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Il est des historiens qui ont marqué l’Histoire par leur façon de la raconter. Henri Guillemin était de ceux là. Spécialiste du XIXième siècle et de l’Histoire contemporaine, il aura marqué les esprits par ses incroyables talents de conteur sur les ondes de la RTBF, de la TSR ou de Radio Canada. Reconnu pour son honnêteté de travail, il l’est aussi pour ses révélations sur de grandes personnalités ou grandes affaires de l’Histoire (la Révolution, Napoléon, la Commune de Paris, Pétain…). Fin limier de la vérité historique et dénonciateur des impostures dans notre Histoire récente – que l’on a trop souvent réécrite à la faveur des réalités politiques du moment – il a animé avec passion des conférences grands publics sur ses recherches pendant 20 ans. Voici un retour en deux volets sur les vérités de Monsieur Guillemin.

La suite de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin sera publiée la semaine prochaine, avec notamment les conférences sur Pétain et Vichy.

1/ Un Napoléon bien différent de son image traditionnelle

Henri Guillemin

Henri Guillemin (Photographie Librairie Gallimard)

Henri Guillemin n’hésite pas à dépeindre Napoléon de façon très inhabituelle, très éloignée de sa légende. Vénal, opportuniste, très politique, chanceux et arriviste, Bonaparte est présenté comme une personne ne croyant en rien et prêt à tout pour réussir.

L’historien détaille comment Bonaparte a fait le jeu de la classe dominante au détriment des acquis de Robespierre. Comme par exemple, lors de la création de la Banque de France, garantie par le public mais bénéficiant au privé. Napoléon a étranglé la République, ce qu’il avouera lui-même fièrement à Saint-Hélène en déclarant « j’ai rétabli la propriété et la religion« . Une vision confirmée par Jacques Bainville: « il a fait cesser la lutte des classes » et le comte Mollien « Il a mis fin au gouvernement populaire […] il a assis définitivement la bourgeoisie au pouvoir« .

Guillemin révèle aussi, de façon étonnante comparé à son image, combien Napoléon avait en réalité une faible idée de la France, la voyant exclusivement comme un moyen et non comme une fin. L’Empereur n’avait pas non plus une grande idée de l’être humain et des Français, lui qui disait à Talleyrand « j’ai 300 000 hommes de rente annuelle » (sous-entendu je peux faire tuer 300 000 jeunes Français par an pour mes batailles).

Napoléon finalement plus proche de Berlusconi que de De Gaulle

Napoléon serait donc plus à voir comme une sorte de brillant mafieux corse qui a fait main basse sur la République Française naissante à son profit, en plaçant toute sa famille et des gens qui lui seraient redevables à tous les postes clés ; plutôt que comme un administrateur génial auquel la France devrait tout.

En résumé si l’on devait le comparer à un personnage contemporain, il tiendrait plus du Sylvio Berlusconi que de Charles de Gaulle: cupide, affairiste, prêt à tout, opportuniste, mégalomane, calculateur, bling-bling et versatile.

2/Les multiples trahisons des « honnêtes gens »

Le plus étonnant lorsque l’on parcourt les conférences d’Henri Guillemin d’une époque à l’autre, c’est la mise en évidence d’une certaine récurrence de l’Histoire de France concernant trahison des « honnêtes gens » vis-à-vis de la Nation. [NDLR: dans les textes de Guillemin, l’expression « honnêtes gens » est à prendre selon sa définition de la fin du XIXième: il s’agit des  « gens de bien(s) » ou le la classe possédante, qui se qualifiaient eux mêmes « d’honnêtes gens » par opposition aux plus pauvres qu’ils suspectaient de vouloir atteindre à leur propriété].

Guillemin explique comment à divers moment de l’Histoire, une majorité de la classe possédante a été amenée à trahir la nation pour préserver ses intérêts: que ce soit en 1792 en faisant appel aux princes étrangers contre la Révolution, en 1870 lors de la guerre contre la Prusse ou en 1940 lors de l’invasion Allemande. Il explique comment les gens de bien ont régulièrement fait le choix de la défaite, en préférant l’ennemi extérieur pour mieux écraser l’ennemi intérieur : le peuple. Son dossier sur Adolphe Thiers accusé d’avoir fait le jeu de l’Allemagne de Bismarck contre le peuple de Paris, est à ce titre une révélation absolument terrible.

La classe possédante Française a trahi la France a de multiples reprises pour préserver ses intérêts: en 1792, en 1870, et en 1940.

Il dévoile par exemple – preuves à l’appui –  qu’en dépit de la diplomatie Anglaise qui prend le parti de la France car elle est soucieuse d’un équilibre Franco-Allemand sur le continent, Thiers se bat pour contenter les Allemands le plus rapidement possible en leur livrant sur un plateau Sainte Marie aux Mines et Belfort. Une honte que les Anglais servent mieux les intérêts de la France dans les négociations que le gouvernement de Thiers !

Il détaille aussi comment, tout au long du XIXième siècle, les « honnêtes gens » utilisent divers procédés pour faire se tenir tranquille le petit peuple (en reprenant le terme de « cariatide » introduit par Victor Hugo). Ce sont d’abord les curés à qui l’on confit l’entièreté de la charge de l’éducation des enfants en 1850, pour leur apprendre la résignation sociale, avant que Jules Ferry ne demande aux instituteurs de l’école Républicaine laïque et obligatoire de prendre le relais dans les années 1880. Les gouvernements changent mais les méthodes demeurent.

3/ La première guerre mondiale et ses raisons obscures

Dans sa série de conférence sur l’avant guerre de 14, Guillemin raconte comment année après année, tout au long de la seconde moitié du XIXième et au début du XXième siècle, la mise en place de l’impôt sur le revenu est repoussée à chaque fois de peu par les « honnêtes gens ». Si bien que lorsqu’en avril 1914 la gauche devient pour la première fois majoritaire à l’Assemblée, et qu’elle vote le fameux impôt le 15 Juillet, on n’est qu’à quelques jours du début de la guerre qui sera déclarée le 4 Aout. Faut-il y voir une coïncidence ? Toujours est-il qu’en raison de la guerre, l’impôt sur le revenu ne sera pas véritablement effectif en France avant des décennies (tout comme la taxe sur les bénéfices de guerre définitivement enterrée par la nouvelle chambre de 1919).

Pendant 40 ans la gauche Française a tenté d’instaurer l’impôt sur le revenu. Elle parvient enfin à le faire voter le 15 Juillet 1914, mais la guerre est déclarée le 4 Août…

Cette coïncidence aura en tous cas aussi interpellé le général Rebillot qui déclarait dans le journal d’extrême droite « La libre parole » le 13 décembre 1914  « Au printemps la situation était perdue, par bonheur la Providence a inspiré à Guillaume II l’idée de nous attaquer« .

La « Providence »… le terme est drôlement choisi, surtout quand on sait qu’à l’époque la politique étrangère est portée par le président de la République, Raymond Poincaré qui avait été investi par la droite républicaine en 1912. Le même Poincaré qui fin Juillet 14 s’est rendu en Russie pour consolider les alliances qui allaient conduire l’Europe dans la guerre…

La suite de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin sera publiée la semaine prochaine, avec notamment les conférences sur Pétain et Vichy.

Écouter Henri Guillemin aujourd’hui (toutes les conférences sont disponibles gratuitement):

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Citation de Arnaud Montebourg

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Arnaud Montebourg

« M. Barroso est le carburant du Front national. Voilà la vérité. Il est le carburant de Beppe Grillo.
Je crois que la principale cause de la montée du Front national est liée à la façon dont l’UE exerce aujourd’hui une pression considérable sur des gouvernements démocratiquement élus.

Je crois que la principale cause de la montée du Front national est liée à la façon dont l’UE exerce aujourd’hui une pression considérable sur des gouvernements démocratiquement élus.

Vous avez le président de la Commission européenne qui dit ‘tous ceux qui sont anti-mondialisation, c’est des réactionnaires’, c’est-à-dire (ce sont) des gens qui aujourd’hui ont institutionnalisé l’Union européenne comme anti-peuples européens.
Finalement, l’Union européenne ne bouge pas, elle est immobile, paralytique. Elle ne répond à aucune des aspirations populaires (en Europe), sur le terrain industriel, sur le terrain économique, sur le terrain budgétaire, et finalement, ça donne raison à tous les partis souverainistes, j’allais dire anti-européens, de l’UE. »

Arnaud Montebourg, homme politique Français, (1962-) s’exprimant dans l’émission Tous politiques, diffusée sur France Inter au soir du 23 Juin 2013

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Citation de Benoit XVI

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le Pape Benoit XVI, Joseph Ratzinger

« Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait.« 

Le pape Benoit XVI, citant l’Empereur Byzantin Manuel II Paléologue lors du discours de Ratisbonne le 12 Septembre 2006, (1927-)

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La prise des Tuileries amène la Convention et le Suffrage Universel

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La Liberté guidant le peuple, images historiques, mémoire collectiveCes images qui ont fait l’Histoire…

Chaque semaine, une image ou une photo qui a marqué notre mémoire collective. L’occasion de revenir sur les évènements majeurs et les « images d’Épinal » qui ont façonné notre souvenir du passé.

10 Août 1792: Il s’agit d’une des journées les plus « longue » de la Révolution Française qui consomme la chute de la monarchie constitutionnelle et entérine la naissance d’une République qui ne dit pas encore son nom.

Après plusieurs assauts, le peuple prend le palais des Tuileries, siège du pouvoir exécutif, où le roi Louis XVI et sa famille sont assignés à résidence depuis la fuite de Varennes. L’Assemblée législative, enhardie par le succès de l’émeute, prononce la «suspension» du roi. Après une nuit de fortune, la famille royale est emmenée au donjon du Temple pour y être emprisonnée.

Dans la foulée de la mise en place d’un Conseil exécutif provisoire, la décision est prise de convoquer une nouvelle Assemblée, et le suffrage universel masculin est instauré le 11 août 1792. C’est la première fois en France que l’on rompt avec le suffrage censitaire. Jusqu’alors les citoyens étaient divisés en « citoyens passifs » qui ne pouvaient devenir « citoyens actifs » (avec le droit de vote) que sous condition de revenus. A ce titre le 10 Aout et les journées qui suivirent sont considérées comme la « seconde révolution » ou la « vraie révolution » par nombre d’historiens, car c’est à partir de cette date que seront mises en place de vraies réformes sociales.

Les élections législatives se déroulent donc du 2 au 6 septembre 1792, mais, étant donné la Terreur, le suffrage est limité: La participation électorale, très faible, dans les départements est de 11,9 % du corps électoral, contre 10,2 % en septembre 1791, alors que le nombre d’électeurs a plus ou moins doublé.

10 Aout 1792: prise des Tuileries

La Prise des Tuileries le 10 août 1792 par Jean Duplessis-Bertaux, (Musée du château de Versailles).

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Citation de Voltaire

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François-Marie Arouet dit Voltaire

« Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne« .

Citation de François-Marie Arouet, dit Voltaire, écrivain et philosophe Français, (1694-1778).

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Crise, diagnostic et solutions (2/2): la vérité sur le modèle Allemand

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Comprendre la crise économique que traverse l’Europe pour pouvoir envisager sereinement un plan de sortie… voilà l’un des enjeux majeurs à l’heure où l’on est noyé dans le marasme des contre-vérités et des logiques partisanes martelées à la télévision. Heureusement pour nous, Rue89 est allé interviewer deux spécialistes hors pairs, qui nous font bénéficier de leurs lumières pour comprendre la crise que nous traversons et envisager ensemble des solutions. C’est dense, mais ces “grands entretiens”, proposés par Pascal Riché, sont un éclairage salvateur sur la réalité économique européenne. Seconde partie avec Guillaume Duval d’Alternatives économiques.

Cet entretien a été initialement publiée sur Rue 89 sous le titre « Le succès des Allemands n’a rien à voir avec leurs efforts »

Coupes budgétaires, marché du travail plus flexible : pour le journaliste Guillaume Duval, les raisons du redressement économique de l’Allemagne sont ailleurs.

L'économiste Guillaume Duval (Alternatives Economiques)

L’économiste Guillaume Duval (Alternatives Economiques)

Pourquoi la France a-t-elle décroché par rapport à l’Allemagne, en termes de compétitivité, de croissance et d’emploi ?

On attribue généralement le succès allemand aux réformes engagées en 2000 par le chancelier SPD Gerhard Schröder, dans son « agenda 2010 » : flexibilisation du marché du travail et coupes claires dans les dépenses publiques. C’est cet effort, auquel se refuseraient les Français, qui serait payé de retour aujourd’hui.
Le journaliste d’Alternatives Économiques Guillaume Duval vient de signer chez Seuil un livre très éclairant sur l’Allemagne, « Made in Germany », dans lequel il remet frontalement en question ce diagnostic.

2.1/ Trois atouts : la démographie, l’Europe de l’Est, les biens d’équipement

> Rue89 : Tu as la conviction que le succès allemand n’a rien n’a voir avec les réformes engagées par Schröder. Explique-nous.

Guillaume Duval : Avec Schröder, c’est la première fois que la gauche arrive vraiment au pouvoir en 140 ans. Il engage des réformes importantes, notamment sur le marché du travail, et il exerce une pression importante sur les dépenses publiques. 

Avec Schröder, c’est la première fois que la gauche arrive vraiment au pouvoir en 140 ans.

Mais le succès actuel des Allemands n’a rien à voir avec ces efforts qu’ils se sont imposés. De telles réformes, importantes, ont même plutôt à mes yeux fragilisé les points forts traditionnels de l’économie allemande.

Sur le coup d’abord, la politique de Schröder s’est traduite par un recul très significatif du pouvoir d’achat des salariés, qui commencent tout juste à s’en remettre, et par un recul de l’emploi : quand Schröder quitte le pouvoir en 2005, il y a 5 millions de chômeurs. Par ailleurs, alors qu’il y avait autrefois moins d’inégalités et de pauvreté qu’en France, il y en a plus aujourd’hui.

Certains considèrent que ces inégalités et cette pauvreté ont été le prix à payer pour le redressement allemand. Je ne pense pas que ce dernier ait quoi que ce soit à voir avec les réformes Schröder. Selon moi, il est dû à trois facteurs qui préexistaient avant la crise, et à trois autres qui ont joué un rôle pendant la crise.

> Commençons par les trois facteurs hors-crise.

« Made in Germany » de Guillaume Duval

« Made in Germany » de Guillaume Duval

L’Allemagne d’abord, a paradoxalement bénéficié de son déclin démographique. Les Français considèrent que c’est très bien d’avoir plein de gamins, plein de jeunes, que c’est une richesse pour l’avenir du pays. C’est sans doute vrai, mais dans l’immédiat, cela coûte très cher. Quand on a des enfants, il faut les loger, les nourrir, les éduquer, leur payer des téléphones portables…

Autant de dépenses privées et publiques en plus que les Allemands n’ont pas eu à dépenser. C’est une des raisons pour lesquelles les dépenses publiques ont été plus faibles et c’est une des raisons qui ont facilité la modération salariale : quand on n’a pas de gamins, on peut tolérer plus facilement une austérité salariale prolongée.

La démographie a surtout favorisé le maintien de prix immobiliers très modérés. Ils n’ont pas bougé depuis quinze ans, et commencent juste à le faire depuis deux ou trois ans. En France, les prix ont été multipliés par 2,5 dans le même temps. Cela se comprend : la France a gagné 5 millions d’habitants depuis le début des années 2000, quand l’Allemagne en a perdu 500 000.

La démographie en France et en Allemagne (Olivier Berruryer/LesCrises.fr)

La démographie en France et en Allemagne (Olivier Berruryer/LesCrises.fr)

Résultat : alors que l’immobilier neuf valait en France 3 800 euros du m2 en France en 2011, il valait en Allemagne seulement 1 300 euros du m2 la même année. On est dans un rapport de un à trois. Cela explique pourquoi les Allemands ont pu accepter une austérité salariale prolongée.

Deuxième point, les conséquences de la chute du Mur. Les Allemands ont l’habitude de se plaindre du coût que la réunification a représenté. Mais l’Allemagne a été au bout du compte la grande gagnante de la chute du mur, car elle a réintégré très rapidement et très fortement les pays d’Europe centrale et orientale à son système productif.

Avant, le pays à bas coût qui fournissait l’industrie allemande, c’était plutôt la France. Maintenant, ce sont la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Pologne… La différence, c’est que le coût du travail dans ces pays est cinq fois moindre qu’en France. L’Allemagne, en réorientant sa sous-traitance vers ces pays, a obtenu un gain de compétitivité-coût phénoménal pour son industrie.

> La France n’aurait-elle pas pu faire de même ?

Délocaliser sans perdre sa base productive nationale n’est pas si simple. Ce qui est intéressant, dans le cas allemand, c’est de comprendre pourquoi cela s’est bien passé. La réponse à cette question est liée à la codétermination, un des trucs auxquels Schröder n’a heureusement pas touché. Il a fallu négocier tout ce processus avec les syndicats allemands, qui ont, dans les grandes entreprises, beaucoup plus de pouvoir que les syndicats français. Les comités d’entreprise ont un droit de veto sur toutes les grandes décisions et il y a, dans les conseils d’administration, une moitié de représentants des salariés. Ils ont donc négocié étroitement ces délocalisations et n’ont pas dit, comme Tchuruk [ex-patron d’Alcatel, ndlr], « on va faire des entreprises sans usines ».

La France l’a fait un tout petit peu, avec Dacia-Renault, en Roumanie. Mais on n’a pas su le faire à grande échelle. On en discute maintenant avec le Maroc : Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, parle de « colocalisation ». Mais on n’en est pas du tout au même stade que les Allemands, et c’est un inconvénient majeur pour l’industrie française.

> Passons au troisième facteur hors-crise

Allemagne production de machines

Production de machines en Allemagne, Source : « Made in Germany »

Le troisième facteur est bien connu, mais il a joué à fond pendant les années 2000 : c’est la spécialisation de l’Allemagne dans les biens d’équipement – les machines. Celle spécialisation a correspondu à l’explosion de la nouvelle demande des pays émergents. L’Allemagne, c’est 18% des emplois européens, mais 33% des emplois dans les biens d’équipement européens.

> Mais la France est aussi championne dans certains secteurs, je pense aux biens de luxe, qui rencontrent aussi une forte demande dans les pays émergents, avec l’apparition d’une classe bourgeoise…

C’est vrai. Mais les volumes concernés n’ont rien à voir. Quand la Chine devient l’usine du monde, ce sont des machines allemandes qui sont implantées partout. Idem au Brésil et en Inde… Quand Renault construit une usine à Tanger, ce sont aussi des machines allemandes qui l’équipent. Les nouveaux riches achètent des sacs Vuitton, c’est vrai, mais ils achètent aussi surtout des grosses voitures, et des Mercedes ou des BMW, pas des Peugeot ou des Renault.

Donc, on voit bien que ces trois facteurs puissants – démographie, sous-traitance en Europe centrale et spécialisation – n’ont rien à voir avec les réformes Schröder.

2.2/ La flexibilité à la Schröder n’a pas été utilisée

> Les atouts constatés pendant la crise, quels sont-ils ?

Le premier atout de l’Allemagne, c’est que les réformes Schröder n’ont pas fonctionné du tout !

Les Allemands ont profité de trois éléments. Le premier, c’est que les réformes Schröder n’ont pas fonctionné du tout ! Schröder était un admirateur de Blair et Clinton, il voulait rapprocher le marché du travail du marché anglo-saxon, il voulait que ce soit plus facile d’embaucher et de licencier, etc. Le fait est que le marché du travail n’a pas été du tout flexible dans la crise. 

L’Allemagne a connu une récession de 5% en 2009, contre seulement 2,9% en France. Pourtant, nous avons perdu 350 000 emplois et eux, zéro. Ils ont joué à plein sur la flexibilité interne, le chômage partiel, sur les accords dans les entreprises, etc. Ils n’ont pas utilisé les possibilités offertes par les réformes Schröder pour licencier en cas de crise.

l’Allemagne a bénéficié de taux d’intérêt extrêmement bas depuis 2009.

Cela a beaucoup aidé l’économie allemande, en maintenant la demande. Les gens n’avaient pas peur de se retrouver au chômage et donc ont continué à consommer. Et l’industrie allemande a pu redémarrer très vite quand les commandes sont revenues : la main-d’œuvre était là, prête à reprendre la production.

Deuxième avantage : l’Allemagne a bénéficié de taux d’intérêt extrêmement bas depuis 2009.

> La France aussi…

Spread entre la France et l'Allemagne

Les taux en France et en Allemagne à 10 ans

Oui, mais dans des proportions un peu plus faibles quand même. La crise des dettes souveraines en Europe a été une bonne affaire pour l’Etat allemand. Si les taux étaient restés aux niveaux de 2008, l’administration aurait dépensé 70 milliards d’euros de plus en paiement d’intérêts.

Les Allemands pleurent beaucoup sur l’aide apportée aux Grecs, aux Irlandais, aux Portugais, etc. Mais pour l’instant, si on fait le compte, ils sont d’un côté engagés à hauteur de 55 milliards d’euros vers ces pays et ils ont économisé du fait de cette crise 70 milliards d’euros de l’autre ! D’autant que ces 55 milliards d’euros ne sont pas des dons, mais des prêts qui rapportent 4% d’intérêts…

Ceux qui auraient des raisons de se plaindre, ce sont les Italiens. Ils sont engagés à hauteur de 41 milliards d’euros, mais eux, ils empruntent à 6% pour prêter à 4%… Les Allemands, eux, empruntent à quasiment zéro. Même si une partie de cet argent ne sera pas remboursée.

L’Etat allemand n’est pas le seul à avoir profité des taux d’intérêt très bas : les entreprises et les ménages aussi.

L’Allemagne a surtout profité de la seule bonne nouvelle qui a accompagné cette crise de la zone euro, à savoir la baisse sensible de l’euro par rapport au dollar. 

L’Allemagne a surtout profité de la seule bonne nouvelle qui a accompagné cette crise de la zone euro, à savoir la baisse sensible de l’euro par rapport au dollar.

Ce qui a « nettoyé » l’industrie européenne, à l’exception de l’industrie allemande, dans les années 2000, c’est d’abord la montée de l’euro par rapport au dollar : il est passé de 0,9 à 1,6 en 2008. En 2000, le coût d’un salarié de l’industrie française était de 14% inférieur à celui d’un salarié de l’industrie américaine ; il était de 17% supérieur en 2010 ! Idem avec les Japonais ou même les Coréens. L’industrie française en a énormément souffert, comme l’industrie italienne ou espagnole.

L’industrie allemande, elle, a survécu, un exploit extraordinaire lié aux trois facteurs que j’ai évoqués tout à l’heure. Et elle profite maintenant de la baisse de l’euro, qui est revenu de 1,6 à 1,3 dollar.

L’excédent extérieur allemand était de 170 milliards d’euros en 2007, mais il était fait aux trois quarts dans la zone euro ; il était de 180 milliards l’an dernier, mais aux trois quarts hors zone euro. Grâce à la baisse de l’euro, on le voit, l’Allemagne a gagné davantage d’exportations supplémentaires en dehors de la zone euro qu’elle n’en a perdu, du fait de la crise, à l’intérieur de la zone.

2.3/ Pourquoi les dépenses publiques allemandes sont moins élevées

> Quel bilan ferais-tu des réformes de Schröder ? Elles ont été neutres ? Négatives ?

Avec la pression qu’il a exercée sur les dépenses publiques, il a fait prendre un retard important à l’Allemagne sur des questions essentielles : la mise en place de crèches ou d’écoles, par exemple. Merkel essaye aujourd’hui de rattraper ce retard. Surtout, l’investissement public a souffert. L’Allemagne est un des seuls pays de l’OCDE à connaître un désinvestissement public : cela signifie, concrètement, que l’investissement ne compense pas l’usure des infrastructures existantes. Ce ne sont pas des politiques que l’on peut mener durablement. C’est un vrai problème pour le pays.

> Quand on compare les dépenses publiques françaises et allemandes, on observe un écart de 8 points de PIB. Pourtant, on n’a pas l’impression d’une énorme différence en termes de prestation…

Plusieurs raisons expliquent la différence :

  • la question démographique, d’abord, que j’ai déjà évoquée ;
  • on dépense par ailleurs plus pour le chômage en France qu’en Allemagne, parce qu’on a plus de chômeurs ;
  • ensuite, l’Allemagne est un pays fédéral, géographiquement plus équilibré : chez nous, les dépenses publiques servent beaucoup à compenser l’écart entre les déserts français et les zones productives ;
  • sur les dépenses de santé, il est probable qu’il y ait moins de gaspillage en Allemagne : la France est l’un des pays qui dépensent le plus pour la santé.
Les dépenses publiques en France et en Allemagne

Les dépenses publiques en France et en Allemagne (OCDE/Sénat)

Le point sur lequel les Allemands protègent moins leur population que nous, ce sont les retraites. Ils commencent d’ailleurs à s’inquiéter des conséquences des réformes qu’ils ont faites. Ils ont stabilisé leurs dépenses de retraites, malgré une poussée du nombre de retraités, et ils entendent poursuivre cette stabilisation. Cela va se traduire par une paupérisation massive des vieux.

La ministre des Affaires sociales a publié un rapport en septembre dernier qui établit qu’un salarié qui gagne aujourd’hui 2 500 euros touchera en 2030 une retraite de 688 euros. Soit le niveau du minimum vieillesse en Allemagne ! C’est un autre sérieux problème à venir.

> Il y a actuellement des grèves salariales dans la métallurgie en Allemagne. On évoque par ailleurs l’idée d’un salaire minimum… As-tu l’impression que cela bouge un peu ?

Oui, cela bouge, mais le risque c’est que ce mouvement soit déjà terminé. Les Allemands commencent à en avoir marre des petits boulots mal payés : il y a 3 millions de personnes qui travaillent pour moins de 6 euros de l’heure.

Par ailleurs, un consensus se dessine sur l’idée de salaire minimum, même s’il y a des divergences sur les modalités : le SPD veut un salaire minimum national uniforme, les chrétiens-démocrates préfèreraient un salaire minimum fixé au niveau des Länder ou des branches. Dans l’industrie, le syndicat IG Metall demande des augmentations de salaires importantes. Idem dans les services…

Le problème, c’est que la crise de la zone euro est en train d’atteindre l’Allemagne. Les perspectives économiques pour cette année ne sont pas très souriantes : à peine meilleures que pour la France. Le risque est donc que les Allemands se remettent à se serrer la ceinture et à refaire de l’austérité.

> Les Allemands sont-ils responsable de la crise en Europe ?

La situation est tragique de ce point de vue. Le comportement des Allemands et de leurs dirigeants est parfaitement compréhensible. Ils ont beaucoup souffert avec Schröder, en termes de pouvoir d’achat et d’emploi. Ils se disent – à tort selon moi – que c’est grâce à cela qu’ils s’en sortent moins mal que les autres. Dans ce contexte, ils considèrent évidemment qu’ils ne peuvent aider les autres que si ceux-ci font les même efforts qu’eux – pour leur bien. Mais si cette attitude est compréhensible, elle est parfaitement suicidaire sur le plan européen.

La politique Schröder aurait pu avoir des effets bien pires si, à l’époque, les Allemands n’avait pas été les seuls à l’appliquer : heureusement qu’il y avait les autres pays européens, y compris les Italiens, les Espagnols ou les Grecs, pour s’endetter et acheter les produits allemands…

Si tout le monde applique cette politique – ce qui est en train de se passer –, la demande chute, le chômage explose et personne n’arrive à se désendetter dans un contexte de récession. Et le risque aujourd’hui, est que cette situation mène à l’explosion de l’euro et de la construction européenne.

Elle est, en tout cas, contraire aux intérêts de l’économie allemande : une zone euro en récession, ce sont en effet des débouchés en moins pour l’industrie. Et cela ne peut pas non plus être dans l’intérêt des épargnants.

> La situation conforte toutefois le leadership politique des Allemands…

Pendant les réformes Schröder, heureusement qu’il y avait les autres pays européens, y compris les Italiens, les Espagnols ou les Grecs, pour s’endetter et acheter les produits allemands…

C’est plus un emmerdement pour eux qu’autre chose. Ils ont le leadership, mais ils ne savent pas quoi en faire. Ils sont comme une poule qui aurait trouvé un couteau. Ils ne savent pas comment exercer ce leadership, notamment parce qu’ils sont embarrassés par les traces de leur dernier leadership. C’est une partie du problème d’aujourd’hui : une partie des Allemands pensent qu’ils auraient moins de problèmes s’ils sortaient de l’euro.

A cela s’ajoute un problème Merkel personnel. C’est quelqu’un qui est entré dans l’Union européenne à 35 ans [après avoir vécu en Allemagne de l’Est, ndlr]. Elle n’a découvert l’Europe occidentale qu’à travers des voyages officiels et des sommets internationaux. Elle ne comprend rien à ce qui se passe en Europe.

> Il semble pourtant qu’ils commencent à prendre conscience que l’austérité ne fonctionne pas : en témoigne le délai accordé il y a quelques jours à la France pour atteindre les 3% de déficit public…

Dans une partie des élites, il y a une prise de conscience de l’impopularité de l’Allemagne. Tant que c’était chez les Grecs ou les Espagnols, c’était supportable, mais le développement d’un sentiment anti-allemand en France a été un choc. C’est, je pense, ce qui les a décidés à mettre les pouces et à faire des concessions.

> Est-ce que la crise européenne ne pourrait pas se résoudre en laissant des chômeurs grecs ou espagnols aller travailler en Allemagne, pays qui a une industrie solide et qui est victime d’une implosion démographique ?

La tentation existe, mais je pense que cela ne peut pas marcher. Je connais bien la théorie : une zone monétaire est optimale si la main-d’œuvre peut bouger d’une région à l’autre de cette zone.

Mais le problème, c’est que la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal sont déjà en situation de crise démographique. Ils ont peu de jeunes. Si les jeunes qualifiés partent pour l’Allemagne, cela veut dire qu’il ne se passera plus rien pendant 50 ans dans ces pays-là. On aura créé le Mezzogiorno puissance dix… L’Europe ne pourra survivre à une telle situation que si les Allemands acceptent de payer pour entretenir les gens qui seront restés en Grèce, en Italie, en Espagne ou au Portugal. On n’en prend pas le chemin…

> Ne peut-on pas imaginer que l’industrie allemande fasse avec ces pays ce qu’elle a fait avec la Pologne, la Slovaquie ou la République tchèque ?

La culture industrielle n’est pas forcément la même en Allemagne et en Grèce et je vois mal les industriels italiens accepter facilement de passer sous la coupe d’entreprises allemandes. Avec l’Espagne, la question peut se poser davantage. Ils le font déjà dans l’automobile.

> Angela Merkel semble vouloir favoriser l’activité des femmes, par la création de crèches par exemple : ce serait une autre façon de réduire les conséquences du déclin démographique sur le marché du travail.

Si un homme allemand travaille une heure de plus qu’un homme français, une femme allemande travaille trois heures de moins qu’une femme française

Oui, sur le terrain de la place des femmes dans l’économie, elle joue un rôle moteur. Schröder lui-même avait favorisé l’arrivée des femmes sur le marché du travail, mais sous des formes très inégalitaires, par le développement de temps très partiels.

Un Allemand travaille autant qu’un Français chaque semaine. Mais si un homme allemand travaille une heure de plus qu’un homme français, une femme allemande travaille trois heures de moins qu’une femme française. Et l’Allemagne est l’un des pays où les écarts de salaires sont les plus importants.

2.4/ Ce qu’il faudrait importer du système allemand en France

> Si l’on avait à importer quelques éléments du système allemand, quels devraient-ils être ?

J’en vois trois :

  • le premier, c’est la décentralisation du pays. L’Allemagne est un pays plus équilibré : on trouve des entreprises qui exportent dans la moindre vallée perdue, ce qui n’est pas le cas chez nous. Mais c’est l’élément le plus difficile à importer. Un changement institutionnel, qui passerait par l’augmentation des budgets des régions, ne suffirait pas ;
  • deuxième chose dont on pourrait s’inspirer, c’est leur intérêt pour l’écologie. C’est l’avenir qu’ils préparent ! Ils ont fait plus d’efforts sur l’efficacité énergétique et sont plus avancés sur les technologie. Nous ne devons pas louper les différents coches qui se présentent ;
  • la dernière chose à importer, la plus importante à mon avis, c’est la gouvernance des entreprises, et notamment la codétermination. On avait une occasion unique d’avancer sur ce terrain avec la loi sur l’emploi et l’accord national interprofessionnel, mais on est en train de la rater.

Par ailleurs, il y a un élément important de la gouvernance des entreprises dont on pourrait s’inspirer. En Allemagne, il n’y a pas de PDG : il y a un président du directoire et un président du conseil de surveillance. Ces deux chefs doivent s’entendre pour les grands tournants stratégiques. Ainsi, si un jour un président du directoire qui dirige une compagnie vendant de l’eau et des services publics locaux s’ennuie, qu’il ne trouve pas cela rigolo et qu’il veut acheter une major d’Hollywood et avoir un appartement à New York, eh bien il ne pourra rien faire de tout cela [allusion à Jean-Marie Messier, ex-patron de Vivendi, ndlr].

A travers ce système et à travers le pouvoir donné aux salariés, il y a dans les entreprises allemandes des systèmes de contre-pouvoirs que nous ne connaissons pas dans notre pays.

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