Crise, diagnostic et solutions (1/2): l’absurdité des plans d’austérité

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Comprendre la crise économique que traverse l’Europe pour pouvoir envisager sereinement un plan de sortie… voilà l’un des enjeux majeurs à l’heure où l’on est noyé dans le marasme des contre-vérités et des logiques partisanes martelées à la télévision. Heureusement pour nous, Rue89 est allé interviewer deux spécialistes hors pairs, qui nous font bénéficier de leurs lumières pour comprendre la crise que nous traversons et envisager ensemble des solutions. C’est dense, mais ces « grands entretiens », proposés par Pascal Riché, sont un éclairage salvateur sur la réalité économique européenne. Première partie avec Daniel Cohen.

Cet entretien a été initialement publiée sur Rue 89 sous le titre « On s’impose une saignée absurde, digne des médecins de Molière »

L’objectif des 3% de déficit a été abandonné par la Commission. Pour Daniel Cohen, professeur d’économie, il était temps de comprendre que l’austérité ne fonctionne pas.

L'économiste Daniel Cohen

L’économiste Daniel Cohen

L’objectif des 3% de déficit budgétaire attendra un peu. Constatant que l’austérité ne fonctionne pas, la Commission européenne a accepté de donner un peu plus de temps à certains pays pour réduire leurs déficits.
Pour la France, elle prévoit désormais un déficit public de 3,9% du PIB cette année et de 4,2% du PIB l’an prochain.
Pour Daniel Cohen, professeur d’économie à l’Ecole normale supérieure et directeur du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), il n’était que temps de voir la Commission, jusque-là arc-boutée sur son chiffre fétiche de 3%, comprendre qu’elle était dans l’erreur.
Entretien parfois ardu, mais éclairant pour qui s’intéresse aux blocages économiques actuels.

1.1/ « En finir avec l’obsession des 3% »

> En septembre, dans Les Echos, vous mettiez en garde contre le risque que faisait peser sur l’économie la poursuite de l’objectif 3% de déficit public en temps de quasi-récession.
> Vous disiez : « Nous sommes en train de créer de toutes pièces une crise artificielle. Il est grand temps de désarmer ce piège dans lequel nous allons tous tomber collectivement en 2013. »
> Est-on tombé dedans ?

Complètement. Quand j’ai dit cela en septembre, la controverse suscitée par la note du FMI sur la mesure des effets de l’austérité n’avait pas encore eu lieu. Ce qu’on a appris, depuis lors, c’est à chiffrer l’impact de l’austérité.

La réduction des déficits en % du PIB

La réduction des déficits en % du PIB

Aujourd’hui, l’objectif qui consiste à passer d’un déficit de 5,3% du PIB fin 2011 à un déficit à 0% en 2017 oblige à une purge cumulée de 5 points de PIB. C’est un effort monstrueux.

On peut se dire : c’est dur, mais la France doit de toute façon le faire. Le problème c’est que les effets macroéconomiques de cette purge conduisent, au bout du compte, à une course-poursuite entre les objectifs qu’on se fixe et les objectifs effectivement atteints.

Et cette course est perdante, elle est autodestructrice. Chaque fois qu’on augmente les impôts ou qu’on réduit les dépenses publiques, on affecte l’activité économique et donc les rentrées fiscales : il y a une déperdition énorme des efforts.

Le résultat effectivement atteint en bout de course, en termes de réduction du déficit, est inférieur de moitié à l’effort engagé. C’est ce que la Cour des comptes a chiffré dans son rapport d’octobre : en 2012 l’effort a été de 1,2% du PIB et le résultat de 0,7%.

En 2013, on a engagé un effort de 38 milliards, soit près de 2 points de PIB, mais on prévoit de passer de 4,8% à 3,7%, soit un point seulement de réduction !

En 2013, on a engagé un effort de 38 milliards, soit près de 2 points de PIB, mais on prévoit de passer de 4,8% à 3,7%, soit un point seulement de réduction !

Avant la crise, selon les calculs du FMI, lorsqu’on réduisait notre déficit de 1 point de PIB, on réduisait la croissance de 0,5 point. C’est ce que l’on appelle le « multiplicateur ». Avec un taux de prélèvement obligatoire d’environ 50% du PIB, il y a donc une déperdition, en termes de recettes publiques, de 0,25 point de PIB. L’effort initial de 1 point se traduisait donc par un résultat effectif de 0,75.

Mais le FMI s’est rendu compte qu’en réalité, pendant cette crise, l’impact de l’austérité sur la croissance était trois fois plus important : le multiplicateur n’est plus de 0,5, mais peut-être de 1,5. Cela peut s’expliquer : les gens changent de comportement, ils tirent moins sur leur épargne, les entreprises freinent leurs investissements, etc.

Ce qui est frappant, c’est qu’on retrouve le « multiplicateur » constaté dans les années 30, qui était aux Etats-Unis de 1,6.

> Tout est chamboulé, donc…

Oui. Refaites le calcul : un effort budgétaire et fiscal d’un point de PIB se traduit par une amputation de la croissance de 1,5 point, ce qui entraîne une déperdition pour les recettes de 0,75 point. Et au final, le déficit n’est donc réduit que de 0,25 point de PIB.

> La conclusion, c’est qu’il n’est pas du tout efficace de faire de la rigueur en période de crise…

C’est ce que toute la science économique nous a appris depuis les années 30 : il ne faut pas faire de rigueur en période de crise. Il faut faire de la rigueur en période de croissance, et laisser filer les déficits en période de crise.

C’est ce que toute la science économique nous a appris depuis les années 30 : il ne faut pas faire de rigueur en période de crise. Il faut faire de la rigueur en période de croissance, et laisser filer les déficits en période de crise.

On le savait, mais ce dont on avait perdu l’idée, c’est que dans des périodes de crise extrême, tous les mécanismes d’autorégulation de l’économie auxquels ont s’était habitué ne fonctionnent plus.

Un débat a eu lieu entre les économistes de la Commission européenne, derrière Olli Rehn [le commissaire aux Affaires économiques et monétaires, un Finlandais, ndlr] et l’économiste en chef du FMI Olivier Blanchard sur ces paramètres-là.

Les premiers continuent à affirmer que les économies peuvent parfaitement absorber les chocs budgétaires. Ils donnent des exemples de stabilisations budgétaires du passé : la Belgique, l’Irlande, la Suède dans les années 90… Mais ces exemples concernent des cas isolés, des politiques menées dans une conjoncture porteuse.

Là, on parle d’une rigueur menée par tous les pays européens. En période de crise. Et pour contrebalancer la rigueur budgétaire, il n’y a aujourd’hui aucune marge de manœuvre du côté de la politique monétaire : les taux sont déjà au plancher. Cette purge vient au pire moment, on est en train de s’imposer une saignée absurde, digne des médecins de Molière.

Le livre de Daniel Cohen et Philippe Askenazy

Le livre de Daniel Cohen et Philippe Askenazy

> Qu’aurait-on dû faire pour éviter le piège ?

A minima, on aurait dû s’entendre pour changer le thermomètre, les fameux 3%… Je le répète depuis le début : cassons cet objectif absurde et sans aucun intérêt que sont les déficits courants, et raisonnons uniquement en termes de « déficits structurels », c’est-à-dire corrigés des effets de la conjoncture sur les rentrées fiscales.

> Un déficit corrigé des effets de la conjoncture, ça se calcule comment ?

Tout le monde sait le faire. la Cour des comptes, par exemple, sait le faire : elle considère qu’on sera cette année, en France, à 2% de déficit structurel et à 1% en 2014.

Mais chacun le calcule un peu différemment, et il suffit donc de se mettre d’accord sur une méthode.

On va devoir le faire, car le nouveau traité prévoit un objectif de déficit structurel [de 0,5%, ndlr].

Une méthode, toute bête, celle que je propose à mes élèves, c’est dire : vous remplacez les rentrées fiscales telles qu’elles s’observent aujourd’hui par les rentrées fiscales qui s’observeraient si le taux de croissance valait la moyenne des cinq dernières années…

Le plus simple, ce serait que la commission établisse un taux de croissance potentielle, pour chaque pays, pour les cinq prochaines années – en France, ce serait 1,5% ; en Pologne, 3%, etc.

> Pourquoi ça bloque ?

Ce qui bloque, ce sont plusieurs facteurs. Le premier, c’est l’héritage du traité de Maastricht qui fixait cet objectif de 3%, alors même que chacun savait que c’était idiot : il est trop laxiste en période de croissance, et trop rigoureux en période de récession.

Retrouver Maastricht, alors même qu’on se prépare à passer à un nouveau régime, est devenu un nouveau totem. Même la France a accepté de jouer sa crédibilité sur cet objectif de déficit courant.

La commission a une responsabilité en ce domaine, à s’être longtemps obstinée sur ce chiffre. Olli Rehn est devenu la risée de tous les économistes, Paul Krugman l’a rebaptisé le « Rehn de la terreur »

> L’annonce de la Commission européenne, qui donne à la France un délai de deux ans pour réduire son déficit, marque-t-elle un tournant ?

C’est une très bonne nouvelle ! Face à une crise qui se révèle beaucoup plus sévère que prévue, il semble enfin que la Commission entende la voix de la sagesse. Olli Rehn, en publiant les nouveaux pronostics sur la croissance européenne, a une nouvelle fois révisé à la baisse les perspectives de croissance pour 2013 et 2014 et annonce qu’il est prêt à reporter à 2015 l’objectif de réduction sous les 3%.

Ce faisant, il fait évidemment un pas dans la bonne direction. Mais ce qui est cocasse, c’est que la Commission reste quand même attachée à ce thermomètre des 3%, au lieu de passer directement et exclusivement à un raisonnement en termes de déficit structurel.

Ce qui est cocasse, c’est que la Commission reste quand même attachée à ce thermomètre des 3%, au lieu de passer directement et exclusivement à un raisonnement en termes de déficit structurel.


> A vous écouter, ceux qui disent que la clé de la crise est en Allemagne se trompent. La clé est à la Commission ?

C’est un mélange : la Commission est responsable de la situation, les Allemands sont complices. Ils ne proposent pas de nouveau débat sur ces questions. Et la France, de son côté, n’ose pas porter ce débat, par peur de perdre sa crédibilité en donnant l’impression de vouloir casser le thermomètre pour masquer ses échecs. Résultat, tout le monde subit cette crise sans broncher.

> La France et les autres pays ne se taisent-ils pas parce qu’ils ont peur que les marchés les sanctionnent en leur imposant des taux d’intérêt supérieurs ? La « terreur par le spread » ?

Oui, ils ont l’impression que le premier qui bouge est celui qui va perdre. C’est pour cela que c’est à la Commission de bouger, de prendre ses responsabilités, de changer le thermomètre au nom du réalisme et de l’intelligence économique.

Les Allemands, eux, sont coupables par omission. Ils portent une bien plus grande part de responsabilité dans la crise, mais sur un sujet différent.

1.2/ « Lever le blocage allemand sur le MES »

> De quoi les Allemands sont-ils responsables ?

A la suite d’une décision de la Cour de Karlsruhe, l’Allemagne s’est dotée, de fait, d’un droit de véto sur toutes les décisions qui sont prises par le Mécanisme européen de stabilité [le MES, qui gère les mesures liées à la crise financière, ndlr].

Tous les déboursements du MES doivent maintenant être préalablement autorisés par le parlement allemand, le Bundestag. Cela veut dire qu’il est impossible d’aller vers un mécanisme « routinier » de résolution des crises au niveau européen, avec des procédures identifiées. Chaque déboursement est en effet soumis à l’appréciation du Bundestag.

Exemple de Chypre : le système bancaire chypriote implose, et on se retrouve face à un refus, absolu, politique, d’aller au secours de ses établissements bancaires selon des procédures qui auraient pu être définies à l’avance.

On a donc bricolé un plan sauvage, avec plusieurs versions en cours de route, l’expropriation des déposants – qui ne sont pas tous des mafieux russes. On laisse s’installer l’idée, comme dans les années 30, qu’en cas de crise bancaire, c’est le grand flou sur les mécanismes de recapitalisation. L’économie aurait besoin d’un cadre plus solide.

> Un des différends avec la France porte justement sur l’Union bancaire, que l’Allemagne n’est pas pressée de réaliser…

Elle ne se fera pas de sitôt à mon avis : l’Allemagne pèse de tout son poids contre cette transition ! On prépare seulement un mécanisme, dit d’« union bancaire », de supervision des grandes banques sous l’autorité de la banque centrale. C’est très bien, mais cela ne règle pas l’essentiel : la création d’un mécanisme de recapitalisation des banques en difficulté, doté de règles d’intervention claires.

Le Mécanisme de stabilité qu’on a créé pour gérer ces situations n’est pas un mécanisme « européen », puisque le Bundestag doit approuver chaque déboursement.

Le Mécanisme de stabilité qu’on a créé pour gérer ces situations n’est pas un mécanisme « européen », puisque le Bundestag doit approuver chaque déboursement.

Ce mécanisme est le grand absent de l’Union monétaire européenne. Une Union monétaire, cela signifie que la monnaie dans une banque chypriote a la même valeur que la monnaie dans une banque allemande. Mais aucune union bancaire ne garantit aujourd’hui cela.

Je ne vois pas d’issue. L’idée aujourd’hui, c’est que chaque pays va constituer son propre fonds de capitalisation, et qu’ils seront fusionnés un jour. Mais le jour où le fonds mis en place par les Allemands fusionnera avec le fonds mis en place par la Slovénie n’est pas arrivé.

> On n’a donc pas progressé ?

Sur le plan intellectuel, d’une certaine manière, on a beaucoup progressé. Mais concrètement, sur la question de la mutualisation des risques et de la création d’un filet de sécurité pour les banques, on est toujours devant la page blanche.

> L’Allemagne fait-elle preuve d’égoïsme ?

Accuser les Allemands d’égoïsme, c’est affirmer que leur politique sert leurs intérêts nationaux. Or, ils agissent en réalité contre leur intérêt. Car le jour où la zone euro sera complètement plombée, l’Allemagne, qui dépend d’elle pour une grande partie de ses exportations, le sera aussi.

> Même s’ils y perdent économiquement, la situation ne leur profite-t-elle pas en termes de leadership politique sur l’Europe ?

C’est plus compliqué. Il y a toujours un jeu de rôle entre la cigale et la fourmi. Ce n’est pas spécifique à l’Allemagne. Dans les années 30, le pays en excédent qui étouffait tous les autres, c’était la France. Elle accumulait de l’or et empoisonnait ses voisins. Quand le Kreditanstalt a fait faillite en 1931 la France a refusé de faire un crédit.

Il y a donc, c’est vrai, une posture de la fourmi : moi j’ai épargné, à votre tour. Keynes l’avait parfaitement théorisé dans les années 30 : le pays qui est en excédent est dispensé de changer sa politique, celui qui est en déficit porte tout le poids de l’ajustement.

Le problème, c’est que si l’excédent de l’un ne disparaît pas, le déficit de l’autre ne s’évanouit pas non plus.

S’ajoute une autre complexité, liée à des contraintes politiques et constitutionnelles : si la Cour de Karlsruhe a décidé que le Bundestag devait approuver tous les déboursements du Mécanisme européen de stabilité, c’est parce qu’elle considère que l’Europe n’est pas démocratique.

Pour elle, les déboursements d’argent du contribuable doivent obtenir l’aval d’une instance démocratique et ses yeux le Parlement européen ne l’est pas, le poids démographique des électeurs allemands par rapport aux autres n’étant pas respecté.

En creux, les Allemands demandent une révision des traités dans un sens plus démocratique. Il faut avancer d’un cran sur la gouvernance économique de la zone euro et la légitimité démocratique des processus de décisions qui y sont prises. Il faut retrouver une vision politique.

1.3/ « Il faut augmenter les salaires outre-Rhin »

> Faut-il espérer beaucoup de l’élection allemande ?

C’est le pari silencieux de François Hollande, qui espère qu’après l’élection, on pourra remettre des débats sur la table. L’un des grands espoirs, c’est qu’après les élections, des décisions soient prises en Allemagne conduisant à une baisse des déséquilibres qui se sont creusés au cours des dix dernières années entre l’Allemagne et tous les autres pays.

L’industrie allemande s’est réinventée pendant cette décennie, pour de nombreuses raisons, mais en particulier grâce à l’utilisation intelligente qu’elle a faite des industries des pays de l’ex-Europe de l’Est.

Ces pays lui ont fourni un réservoir de main-d’œuvre bon marché, vers lequel elle a sous-traité jusqu’à 50% de la chaîne de valeur, le dernier tour de manivelle restant en Allemagne.

> Un autre facteur a aidé, c’est l’immobilier, dont les prix sont restés très modérés, ce qui a permis une modération salariale acceptée…

C’est l’autre facteur important : il n’y a pas eu de bulle immobilière. Ils se sont donc réinventés. Très bien, parfait. Le résultat, c’est que leur excédent courant est aujourd’hui monstrueux, de 6% du PIB, le maximum autorisé par le Sixpack.

Il n’y a pas eu de bulle immobilière en Allemagne.

Une énorme pathologie d’ordre macro-industrielle s’est creusée. Le remède actuellement proposé, c’est que tous les autres pays fassent de la déflation salariale, pour se remettre au niveau des coûts unitaires du travail allemand. On sait combien c’est coûteux, la déflation salariale, en termes de chômage, de souffrance sociale…

Si l’on pouvait, de Sirius, appuyer sur un bouton pour régler cette situation, ce ne serait pas de baisser tous les salaires sauf ceux des Allemands, ce serait d’augmenter les salaires de ces derniers.

La bonne solution, ce serait une « reflation » progressive des salaires allemands, mettons de 3% par an pendant cinq ans. C’était en train de se faire au début de l’année 2012. Il y a eu des renégociations dans la fonction publique, dans la métallurgie, prévoyant des augmentations salariales importantes. C’est un ajustement normal dans un pays qui a de tels excédents et dont les salaires ont stagné pendant si longtemps.

Le risque, c’est ce que ce mécanisme d’ajustement se casse avec la crise de l’année 2013.

> La création d’un salaire minimum pourrait faciliter cet ajustement…

Ce serait une voie. Mais cette voie-là aussi, Angela Merkel la ferme, considérant que le salaire minimum est facteur de chômage. En pleine campagne électorale, elle joue cette petite carte à la Margaret Thatcher. C’est assez désespérant.

1.4/ « La sortie de l’euro, question prématurée »

> A partir de quand se demandera-t-on s’il ne serait pas préférable de sortir de l’euro ?

Pas aujourd’hui. S’engager dans cette réflexion-là serait prématuré. On n’a pas exploré tous les scénarios possibles qui permettraient de rendre l’euro « vivable ».

Il faut d’abord voir ce que donnent les élections allemandes. On sait ce qu’il faut faire : abandonner le thermomètre des 3% et favoriser un taux d’inflation de 3% en Allemagne. Une discussion sur ces sujets sera possible après l’élection.

Angela Merkel joue la carte « Thatcher » pendant la campagne, mais elle peut s’assouplir après l’élection, si elle est réélue. Ça dépendra aussi de la coalition qu’elle dirigera. Si elle perd l’élection – ce qui est possible si la situation économique se dégrade –, les choses seront encore plus simples : un tel échec sera interprété comme la sanction de sa rigidité.

Angela Merkel joue la carte « Thatcher » pendant la campagne, mais elle peut s’assouplir après l’élection, si elle est réélue.

Il faut ensuite voir si la France est capable de proposer une initiative institutionnelle allant dans le sens voulu par les Allemands. Une couche de fédéralisme suffit, pas besoin de proposer un nouvel Etat fédéral. Il faut ouvrir ce chantier pour corriger le vice institutionnel qui bloque l’Europe.

Si rien ne se passe sur ces deux tableaux, on en sera réduit à attendre que l’économie finisse par rebondir. Mais si ce n’est pas le cas, la sortie de l’euro apparaîtra aux peuples comme une option.

> Seulement « aux peuples » ? Gouvernants ou experts ne devraient-ils pas eux aussi réfléchir à un tel scénario ?

Intellectuellement, bien sûr, il faut rester ouvert : l’histoire n’est jamais écrite… On n’y est pas encore et ce serait une terrible défaite pour l’Europe d’avoir provoqué une telle crise par manque de lucidité sur ce qu’il fallait faire.

Mais ce sont les peuples qui auront le dernier mot. Ce sera, dans ce scénario pessimiste, l’objet du débat de la campagne présidentielle de 2017.

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Citation de Robespierre

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Maximilien de Robespierre

« La plus grande partie de nos concitoyens est réduite par l’indigence à ce suprême degré d’abaissement où l’Homme, uniquement préoccupé de survivre, est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donné.« 

Maximilien de Robespierre, dans sa déclaration de candidature aux états généraux de 1788, avocat et homme politique Français, (1758-1794)

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Quand Albert Einstein défendait le socialisme…

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Albert Einstein était-t-il marxiste ? On peut se poser la question à la lecture de ce texte publié en 1949 pour la sortie du premier numéro du « Monthly Review« . En stigmatisant le monopole du pouvoir par la classe dominante, la propriété privée des moyens de production et le contrat de travail libre, le célèbre physicien nous expose une vision très inspirée de son compatriote à la fameuse barbe. Publié en plein maccarthysme, son essais est un plaidoyer efficace pour l’avènement d’une société socialiste, qui serait selon lui, plus juste, et garantirait un meilleur avenir à l’Humanité. Si ses réflexions restent tout à fait valables dans le monde actuel, Einstein était aussi véritablement visionnaire lorsqu’il évoque les limites d’un tel système en terme de bureaucratie et de centralisation du pouvoir.

Publié à l’origine dans le premier numéro du « Monthly Review » en 1949, ce texte d’Albert Einstein a été reproduit par le site marxists.org

Pourquoi le socialisme ?

Est-il convenable qu’un homme qui n’est pas versé dans les questions économiques et sociales exprime des opinions au sujet du socialisme ? Pour de multiples raisons je crois que oui.

Albert EinsteinConsidérons d’abord la question au point de vue de la connaissance scientifique. Il pourrait paraître qu’il n’y ait pas de différences méthodologiques essentielles entre l’astronomie, par exemple, et l’économie : les savants dans les deux domaines essaient de découvrir les lois généralement acceptables d’un groupe déterminé de phénomènes, afin de rendre intelligibles, d’une manière aussi claire que possible, les relations réciproques existant entre eux. Mais en réalité de telles différences existent. La découverte de lois générales en économie est rendue difficile par la circonstance que les phénomènes économiques observés sont souvent influencés par beaucoup de facteurs qu’il est très difficile d’évaluer séparément. En outre, l’expérience accumulée depuis le commencement de la période de l’histoire humaine soi-disant civilisée a été — comme on le sait bien — largement influencée et délimitée par des causes qui n’ont nullement un caractère exclusivement économique. Par exemple, la plupart des grands États dans l’histoire doivent leur existence aux conquêtes. Les peuples conquérants se sont établis, légalement et économiquement, comme classe privilégiée du pays conquis. Ils se sont attribués le monopole de la terre et ont créé un corps de prêtres choisis dans leur propre rang. Les prêtres, qui contrôlèrent l’éducation, érigèrent la division de la société en classes en une institution permanente et créèrent un système de valeurs par lequel le peuple fut dès lors, en grande partie inconsciemment, guidé dans son comportement social.

Mais la tradition historique date pour ainsi dire d’hier ; nulle part nous n’avons dépassé ce que Thorstein Veblen appelait « la phase de rapine » du développement humain. Les faits économiques qu’on peut observer appartiennent à cette phase et les lois que nous pouvons en déduire ne sont pas applicables à d’autres phases. Puisque le but réel du socialisme est de dépasser la phase de rapine du développement humain et d’aller en avant, la science économique dans son état actuel peut projeter peu de lumière sur la société socialiste de l’avenir.

Le premier numéro du Monbthly Review d'où est extrait cet essais d'Albert Einstein

Le premier numéro du Monthly Review d’où est extrait cet essais d’Albert Einstein

En second lieu, le socialisme est orienté vers un but éthico-social. Mais la science ne peut pas créer des buts, encore moins peut-elle les faire pénétrer dans les êtres humains ; la science peut tout au plus fournir les moyens par lesquels certains buts peuvent être atteints. Mais les buts mêmes sont conçus par des personnalités animées d’un idéal moral élevé et — si ces buts ne sont pas mort-nés, mais vivants et vigoureux — sont adoptés et portés en avant par ces innombrables êtres humains qui, à demi inconscients, déterminent la lente évolution de la société.

Pour ces raisons nous devrions prendre garde de ne pas surestimer la science et les méthodes scientifiques quand il s’agit de problèmes humains ; et nous ne devrions pas admettre que les spécialistes soient les seuls qui aient le droit de s’exprimer sur des questions qui touchent à l’organisation de la société.

D’innombrables voix ont affirmé, il n’y a pas longtemps, que la société humaine traverse une crise, que sa stabilité a été gravement troublée. Il est caractéristique d’une telle situation que des individus manifestent de l’indifférence ou, même, prennent une attitude hostile à l’égard du groupe, petit ou grand, auquel ils appartiennent. Pour illustrer mon opinion je veux évoquer ici une expérience personnelle. J’ai récemment discuté avec un homme intelligent et d’un bon naturel sur la menace d’une autre guerre, qui, à mon avis, mettrait sérieusement en danger l’existence de l’humanité, et je faisais remarquer que seule une organisation supranationale offrirait une protection contre ce danger. Là-dessus mon visiteur me dit tranquillement et froidement : « Pourquoi êtes-vous si sérieusement opposé à la disparition de la race humaine ? »

Je suis sûr que, il y a un siècle, personne n’aurait si légèrement fait une affirmation de ce genre. C’est l’affirmation d’un homme qui a vainement fait des efforts pour établir un équilibre dans son intérieur et qui a plus ou moins perdu l’espoir de réussir. C’est l’expression d’une solitude et d’un isolement pénibles dont tant de gens souffrent de nos jours. Quelle en est la cause ? Y a-t-il un moyen d’en sortir ?

Il est facile de soulever des questions pareilles, mais il est difficile d’y répondre avec tant soit peu de certitude. Je vais néanmoins essayer de le faire dans la mesure de mes forces, bien que je me rende parfaitement compte que nos sentiments et nos tendances sont souvent contradictoires et obscurs et qu’ils ne peuvent pas être exprimés dans des formules aisées et simples.

L’homme est en même temps un être solitaire et un être social. Comme être solitaire il s’efforce de protéger sa propre existence et celle des êtres qui lui sont le plus proches, de satisfaire ses désirs personnels et de développer ses facultés innées. Comme être social il cherche à gagner l’approbation et l’affection de ses semblables, de partager leurs plaisirs, de les consoler dans leurs tristesses et d’améliorer leurs conditions de vie. C’est seulement l’existence de ces tendances variées, souvent contradictoires, qui explique le caractère particulier d’un homme, et leur combinaison spécifique détermine dans quelle mesure un individu peut établir son équilibre intérieur et contribuer au bien-être de la société. Il est fort possible que la force relative de ces deux tendances soit, dans son fond, fixée par l’hérédité. Mais la personnalité qui finalement apparaît est largement formée par le milieu où elle se trouve par hasard pendant son développement, par la structure de la société dans laquelle elle grandit, par la tradition de cette société et son appréciation de certains genres de comportement. Le concept abstrait de « société » signifie pour l’individu humain la somme totale de ses relations, directes et indirectes, avec ses contemporains et les générations passées. Il est capable de penser, de sentir, de lutter et de travailler par lui-même, mais il dépend tellement de la société — dans son existence physique, intellectuelle et émotionnelle — qu’il est impossible de penser à lui ou de le comprendre en dehors du cadre de la société. C’est la « société » qui fournit à l’homme la nourriture, les vêtements, l’habitation, les instruments de travail, le langage, les formes de la pensée et la plus grande partie du contenu de la pensée ; sa vie est rendue possible par le labeur et les talents de millions d’individus du passé et du présent, qui se cachent sous ce petit mot de « société ».

Il est, par conséquent, évident que la dépendance de l’individu à la société est un fait naturel qui ne peut pas être supprimé — exactement comme dans le cas des fourmis et des abeilles. Cependant, tandis que tout le processus de la vie des fourmis et des abeilles est fixé, jusque dans ses infimes détails, par des instincts héréditaires rigides, le modèle social et les relations réciproques entre les êtres humains sont très variables et susceptibles de changement. La mémoire, la capacité de faire de nouvelles combinaisons, le don de communication orale ont rendu possibles des développements parmi les êtres humains qui ne sont pas dictés par des nécessités biologiques. De tels développements se manifestent dans les traditions, dans les institutions, dans les organisations, dans la littérature, dans la science, dans les réalisations de l’ingénieur et dans les œuvres d’art. Ceci explique comment il arrive que l’homme peut, dans un certain sens, influencer sa vie par sa propre conduite et comment, dans ce processus, la pensée et le désir conscients peuvent jouer un rôle.

L’homme possède à sa naissance, par hérédité, une constitution biologique que nous devons considérer comme fixe et immuable, y compris les impulsions naturelles qui caractérisent l’espèce humaine. De plus, pendant sa vie il acquiert une constitution culturelle qu’il reçoit de la société par la communication et par beaucoup d’autres moyens d’influence. C’est cette constitution culturelle qui, dans le cours du temps, est sujette au changement et qui détermine, à un très haut degré, les rapports entre l’individu et la société. L’anthropologie moderne nous a appris, par l’investigation des soi-disant cultures primitives, que le comportement social des êtres humains peut présenter de grandes différences, étant donné qu’il dépend des modèles de culture dominants et des types d’organisation qui prédominent dans la société. C’est là-dessus que doivent fonder leurs espérances tous ceux qui s’efforcent d’améliorer le sort de l’homme : les êtres humains ne sont pas, par suite de leur constitution biologique, condamnés à se détruire mutuellement ou à être à la merci d’un sort cruel qu’ils s’infligent eux-mêmes.

Si nous nous demandons comment la structure de la société et l’attitude culturelle de l’homme devraient être changées pour rendre la vie humaine aussi satisfaisante que possible, nous devons constamment tenir compte du fait qu’il y a certaines conditions que nous ne sommes pas capables de modifier. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, la nature biologique de l’homme n’est point, pour tous les buts pratiques, sujette au changement. De plus, les développements technologiques et démographiques de ces derniers siècles ont créé des conditions qui doivent continuer. Chez des populations relativement denses, qui possèdent les biens indispensables à leur existence, une extrême division du travail et une organisation de production très centralisée sont absolument nécessaires. Le temps, qui, vu de loin, paraît si idyllique, a pour toujours disparu où des individus ou des groupes relativement petits pouvaient se suffire complètement à eux-mêmes. On n’exagère pas beaucoup en disant que l’humanité constitue à présent une communauté planétaire de production et de consommation.

Je suis maintenant arrivé au point où je peux indiquer brièvement ce qui constitue pour moi l’essence de la crise de notre temps. Il s’agit du rapport entre l’individu et la société. L’individu est devenu plus conscient que jamais de sa dépendance à la société. Mais il n’éprouve pas cette dépendance comme un bien positif, comme une attache organique, comme une force protectrice, mais plutôt comme une menace pour ses droits naturels, ou même pour son existence économique. En outre, sa position sociale est telle que les tendances égoïstes de son être sont constamment mises en avant, tandis que ses tendances sociales qui, par nature, sont plus faibles, se dégradent progressivement. Tous les êtres humains, quelle que soit leur position sociale, souffrent de ce processus de dégradation. Prisonniers sans le savoir de leur propre égoïsme, ils se sentent en état d’insécurité, isolés et privés de la naïve, simple et pure joie de vivre. L’homme ne peut trouver de sens à la vie, qui est brève et périlleuse, qu’en se dévouant à la société.

L’anarchie économique de la société capitaliste, telle qu’elle existe aujourd’hui, est, à mon avis, la source réelle du mal. Nous voyons devant nous une immense société de producteurs dont les membres cherchent sans cesse à se priver mutuellement du fruit de leur travail collectif — non pas par la force, mais, en somme, conformément aux règles légalement établies. Sous ce rapport, il est important de se rendre compte que les moyens de la production — c’est-à-dire toute la capacité productive nécessaire pour produire les biens de consommation ainsi que, par surcroît, les biens en capital — pourraient légalement être, et sont même pour la plus grande part, la propriété privée de certains individus.

Pour des raisons de simplicité je veux, dans la discussion qui va suivre, appeler « ouvriers » tous ceux qui n’ont point part à la possession des moyens de production, bien que cela ne corresponde pas tout à fait à l’emploi ordinaire du terme. Le possesseur des moyens de production est en état d’acheter la capacité de travail de l’ouvrier. En se servant des moyens de production, l’ouvrier produit de nouveaux biens qui deviennent la propriété du capitaliste. Le point essentiel dans ce processus est le rapport entre ce que l’ouvrier produit et ce qu’il reçoit comme salaire, les deux choses étant évaluées en termes de valeur réelle. Dans la mesure où le contrat de travail est « libre », ce que l’ouvrier reçoit est déterminé, non pas par la valeur réelle des biens qu’il produit, mais par le minimum de ses besoins et par le rapport entre le nombre d’ouvriers dont le capitaliste a besoin et le nombre d’ouvriers qui sont à la recherche d’un emploi. Il faut comprendre que même en théorie le salaire de l’ouvrier n’est pas déterminé par la valeur de son produit.

Le capital privé tend à se concentrer en peu de mains, en partie à cause de la compétition entre les capitalistes, en partie parce que le développement technologique et la division croissante du travail encouragent la formation de plus grandes unités de production aux dépens des plus petites. Le résultat de ces développements est une oligarchie de capitalistes dont la formidable puissance ne peut effectivement être refrénée, pas même par une société qui a une organisation politique démocratique. Ceci est vrai, puisque les membres du corps législatif sont choisis par des partis politiques largement financés ou autrement influencés par les capitalistes privés qui, pour tous les buts pratiques, séparent le corps électoral de la législature. La conséquence en est que, dans le fait, les représentants du peuple ne protègent pas suffisamment les intérêts des moins privilégiés. De plus, dans les conditions actuelles, les capitalistes contrôlent inévitablement, d’une manière directe ou indirecte, les principales sources d’information (presse, radio, éducation). Il est ainsi extrêmement difficile pour le citoyen, et dans la plupart des cas tout à fait impossible, d’arriver à des conclusions objectives et de faire un usage intelligent de ses droits politiques.

La situation dominante dans une économie basée sur la propriété privée du capital est ainsi caractérisée par deux principes importants : premièrement, les moyens de production (le capital) sont en possession privée et les possesseurs en disposent comme ils le jugent convenable ; secondement, le contrat de travail est libre. Bien entendu, une société capitaliste pure dans ce sens n’existe pas. Il convient de noter en particulier que les ouvriers, après de longues et âpres luttes politiques, ont réussi à obtenir pour certaines catégories d’entre eux une meilleure forme de « contrat de travail libre ». Mais, prise dans son ensemble, l’économie d’aujourd’hui ne diffère pas beaucoup du capitalisme « pur ».

La production est faite en vue du profit et non pour l’utilité. Il n’y a pas moyen de prévoir que tous ceux qui sont capables et désireux de travailler pourront toujours trouver un emploi ; une « armée » de chômeurs existe déjà. L’ouvrier est constamment dans la crainte de perdre son emploi. Et puisque les chômeurs et les ouvriers mal payés sont de faibles consommateurs, la production des biens de consommation est restreinte et a pour conséquence de grands inconvénients. Le progrès technologique a souvent pour résultat un accroissement du nombre des chômeurs plutôt qu’un allégement du travail pénible pour tous. L’aiguillon du profit en conjonction avec la compétition entre les capitalistes est responsable de l’instabilité dans l’accumulation et l’utilisation du capital, qui amène des dépressions économiques de plus en plus graves. La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus dont j’ai fait mention plus haut.

Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compétition exagérée est inculquée à l’étudiant, qui est dressé à idolâtrer le succès de l’acquisition comme une préparation à sa carrière future.

Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen d’éliminer ces maux graves, à savoir, l’établissement d’une économie socialiste, accompagnée d’un système d’éducation orienté vers des buts sociaux. Dans une telle économie, les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’une façon planifiée. Une économie planifiée, qui adapte la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant. L’éducation de l’individu devrait favoriser le développement de ses facultés innées et lui inculquer le sens de la responsabilité envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succès, comme cela se fait dans la société actuelle.

Il est cependant nécessaire de rappeler qu’une économie planifiée n’est pas encore le socialisme. Une telle économie pourrait être accompagnée d’un complet asservissement de l’individu. La réalisation du socialisme exige la solution de quelques problèmes socio-politiques extrêmement difficiles : comment serait-il possible, en face d’une centralisation extrême du pouvoir politique et économique, d’empêcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et présomptueuse ? Comment pourrait-on protéger les droits de l’individu et assurer un contrepoids démocratique au pouvoir de la bureaucratie ?

La clarté au sujet des buts et des problèmes du socialisme est de la plus grande importance à notre époque de transition. Puisque, dans les circonstances actuelles, la discussion libre et sans entrave de ces problèmes a été soumise à un puissant tabou, je considère que la fondation de cette revue est un important service rendu au public.

Albert Einstein, 1949.

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Le chevalier Bayard défendant le pont du Garigliano

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La Liberté guidant le peuple, images historiques, mémoire collectiveCes images qui ont fait l’Histoire…

Chaque semaine, une image ou une photo qui a marqué notre mémoire collective. L’occasion de revenir sur les évènements majeurs et les « images d’Épinal » qui ont façonné notre souvenir du passé.

Janvier 1504: En 1504, la retraite des troupes françaises hors du royaume de Naples est le théâtre de l’un des plus hauts faits d’armes de la chevalerie Française. Le Garigliano, fleuve héritier de l’antique Liri, qui se jette dans la Méditerranée au nord de Naples, fait séparation entre Français et Espagnols. Pierre Terrail, le célèbre chevalier Bayard se joint au petit groupe d’éclaireurs envoyés par l’armée française pour franchir le fleuve sur un pont de bateaux. Rapidement, les trois ou quatre cents Français et Suisses ayant franchi le Garigliano sont débordés par les 1 500 hommes appuyés d’artillerie Espagnole lancés contre eux. L’armée française doit battre en retraite.

Le pont, fort étroit, impose aux Espagnols de se présenter un à un devant le chevalier Bayard, resté seul à l’arrière-garde. Sa vaillance, son adresse et son endurance font merveille, et c’est finalement l’artillerie française, mise en batterie sur la rive opposée, qui contraint les Espagnols à refluer et met fin à la bataille.

La légende veut que le chevalier eut livré le combat « seul contre deux cents ». Son biographe Théodore Godefroy rapporte que « comme un tigre échappé, il s’accula à la barrière du pont et à coups d’épée se défendit si bien que l’ennemi ne pouvait discerner s’il avait affaire à un homme ou au Diable« 

Passé à la postérité comme le « chevalier sans peur et sans reproche », Bayard fut pour ses contemporains, l’exemple vivant du courage et de la vertu chevaleresques.

Bayard défendant le pont du Garigliano

Le chevalier Bayard défendant le pont du Garigliano (tableau de Henri-Félix-Emmanuel Philippoteaux, commandé en 1839 par Ferdinand-Philippe d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe)

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Craquage en direct sur l’affaire Cahuzac: Gérard Filoche président !

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On aura à peu près entendu toutes les idioties possibles à propos de l’Affaire Cahuzac. Entre les éditorialistes qui lui tombent aujourd’hui dessus à bras raccourcis alors qu’ils l’encensaient au mois de Juillet, l’opposition qui cherche à en tirer profit sans avoir balayé devant sa porte (rappelez-vous Éric Woerth), les politiques qui se lancent dans un grand déballage de leur patrimoine ou le Gouvernement qui essaie d’éteindre l’incendie à coup de mesurettes. Alors c’est sûr que quand Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail et membre du bureau du Parti socialiste, craque en direct sur LCI pour dire – les larmes aux yeux – ce que tout le monde pense tout bas ça vaut le détour !

– C’est un jour noir pour les socialistes ?

– « C’est un jour de colère. Je venais pour parler de l’accord national interprofessionnel. On ne va pas parler de ça, mais on va parler d’un homme qui les yeux dans les yeux me disait : ‘Il faut baisser le coût du travail ». Les yeux dans les yeux me disait ‘Il faut absolument compter le budget à 3% cette année’.

Les yeux dans les yeux quand on lui disait ‘Il y a 60 à 80 milliards de fraude fiscale’, il disait en gros ‘C’est pas possible’. Il était un fraudeur lui-même. On avait un ministre du Budget qui était censé chasser la fraude fiscale et qui ne le faisait pas pour lui-même ! Et maintenant on va chercher quelques milliards dans les allocations familiales ? On va chercher quelques milliards dans le cadre des petites retraites ? Mais de qui se moque-t-on ?

Gérard Filoche sur LCI

Gérard Filoche craque en direct sur LCI lorsqu’on lui parle de l’Affaire Cahuzac

Je suis socialiste mais je ne peux pas tolérer ça. Je ne peux pas supporter une fois qu’un ministre du Budget de mon gouvernement que j’ai soutenu me mente là-dessus. Moi je vous le dis moi : je peux le faire le budget. Je peux vous dire comment j’embauche 2.000 inspecteurs des impôts. Je peux vous dire qu’ils gagneront 100 fois leur salaire. Et je peux vous dire qu’il y aura de l’honnêteté. Et qu’il y en a assez de ce genre de complicités. Qu’il y en a assez de ce genre de situation. Où on se trouve spolié.

C’est la misère dans le pays ! il y a 5 millions de chômeurs ! Il y a 10 millions de personnes qui sont pauvres, qui ont moins de 900 euros par mois, dont on ne parle pas. Et on est en train de mégoter pour un petit budget ? Pour atteindre 0,5% de déficit et on a un chef du Budget qui fraude lui-même. Qui ment ! Les yeux dans les yeux. Vous croyez que comme membre du bureau du PS – j’y suis depuis 20 ans – je peux supporter ça ? Vous croyez que les politiques, les militants, les syndicats peuvent supporter ça ? Une fois, une seule fois ?

Moi je me bats tous les jours, je fais des réunions tous les jours simplement pour défendre le temps partiel des femmes. Pour défendre les jeunes qui ont des CDD. Pour défendre le fait que sur le plan du code du travail il a des attaques en ce moment alors qu’on ne devrait pas être attaqué, la gauche devrait être en force aujourd’hui pour défendre les salariés. Elle ne doit pas être victime de gens comme ça. Changez quand même ceux qui nous représentent ! Écoutez la voix de ce qui se passe dans le parti socialiste, c’est un parti sain ! Nous sommes le premier grand parti de la gauche. On ne peut pas être sali par des histoires comme ça il y en a assez. Je le dis clairement puisque vous me donnez – alors que je venais pour parler d’un autre sujet – par hasard l’antenne sur ce sujet ».

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Citation de Pierre-Joseph Proudhon

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Pierre-Joseph Proudhon

« Nous n’avons pas besoin de votre charité, nous voulons la justice.« 

Pierre-Joseph Proudhon, journaliste et sociologue Français, (1809-1865)

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Hugo Chavez: des résultats malgré la calomnie

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VENEZUELA: Hugo Chavez est mort officiellement le 5 mars 2013. Le président le plus controversé d’Amérique Latine laisse derrière lui un bilan difficile à apprécier, tant la plupart des médias l’attaquent pour des raisons purement idéologiques, indépendamment de toute objectivité. Le Monde Diplomatique lui consacre ce mois-ci un dossier, en revenant notamment sur la cabale dont il a fait l’objet durant ses 14 ans à la tête du Venezuela, ainsi qu’en rappelant le bilan chiffré de sa présidence. Instructif au moment de trier le vrai du faux.

1/ Affreux, sales et méchants

Hugo Chavez Venezuela

"El comandante" Hugo Chavez

Voici quelques citations pour se faire une idée de la façon dont Hugo Chavez est systématiquement présenté par la presse et les principaux acteurs occidentaux depuis son entrée sur la scène internationale.

« L’apparition d’un Chavez sur les deux scènes de l’Amérique latine et de l’OPEP [Organisation des pays exportateurs de pétrole], après le prologue mexicain de l’opéra-bouffe zapatiste, est d’ores et déjà une menace majeure à l’échelle du continent : le cartel populiste Venezuela-Cuba-Haïti s’étendrait-il’ demain à la Colombie que toutes les avances démocratiques régionales seraient remises en cause. « 

Alexandre Adler., essayiste, 23 novembre 2000.

« Sa rhétorique enflammée excitant les pauvres contre les riches est en grande partie responsable du problème. »

France Info, trois jours après le coup d’État du 11 avril 2002.

« De l’avis général, Hugo Chàvez, qui a mis en route contre lui un processus contre-révolutionnaire sans avoir jamais fait la révolution, ne passera pas l’année. »

Jacques Julliard, éditorialiste, 6 juin 2002.

« Plus ils sont laids, plus ils sont chavistes. S’ils n’ont pas de dents, à tous les coups ils soutiennent Chàvez. Regardez autour de vous : ici [dans un quartier chic traditionnellement hostile à Chàvezi, les gens sont beaux. »

Un opposant cité par le Financial Times, 21-22 décembre 2002.

« Hugo Chàvez se rêve en Simôn Bolivar moderne, mais il n’est qu’un vulgaire voyou. »

Nancy Pelosi, chef de file des démocrates à la Chambre des représentants des Etats-Unis, 21 septembre 2006.

« Chàvez, c’est un type qui est ouvertement antisémite, c’est également quelqu’un qui instaure une répression avec des bandes armées, des escadrons de la mort, une confiscation des ressources, un bâillonnement de la presse en général dans son pays. »

Ariel Wizman, chroniqueur, Canal Plus, 20 novembre 2007.

« Pourquoi est-ce que tu ne la fermes pas ! »

Le roi espagnol Juan Carlos Jr interpellant Hugo Chàvez lors du sommet ibéro-américain de 2007.

« Un Mussolini avec des bananes. »

L’auteur mexicain Carlos Fuentes décrivant Hugo Chàvez, 14 février 2008.

« Ahmadinejad et moi, depuis le perron du palais présidentiel, viserons Washington avec des canons et des missiles. Parce que nous allons attaquer Washington. »

Citation tronquée d’Hugo Chàvez, relayée par l’Agence France-Presse le 9 janvier 2012.

« Les porte-parole de l’impérialisme disent (…) qu’Ahmadinejad est à Caracas, car en ce moment même, à 2h 30 de l’après-midi, nous allons, Ahmadinejad et moi, pratiquement depuis les sous-sols du palais présidentiel, ajuster notre tir en direction de Washington, et que vont sortir de là de grands canons et des missiles car nous allons attaquer Washington. »

Citation complète

« C’est la Corée du Nord. Ben oui, c’est la Corée du Nord. »

Analyse de Franz-Olivier Giesbert sur La Chaîne parlementaire (LCP), le 31 mai 2012.

« Le Venezuela, patrie socialiste, est devenu la caricature la plus aboutie de l’ultralibéralisme. »

Le Monde Diplomatique Avril 2013

Le Monde Diplomatique, numéro d'Avril 2013 sur Hugo Chavez (entre autre)

« Spécial investigation », Canal Plus, 8 octobre 2012

« Un monde primitif, antérieur à la démocratie et à l’individu, quand l’homme n’était encore que masse et préférait qu’un demi-dieu, auquel il cédait sa capacité d’initiative et son libre-arbitre, prenne toutes les décisions importantes le concernant. »

Maria litrgas Llosa, Prix Yobel de littérature, it propos du Venezuela de Cliver, 10 mars 2013

« — Le Monde:  Votre rhétorique révolutionnaire n’a-t-elle pas contribué au climat d’intolérance actuel ? »

« — Hugo Chavez : je crois qu’aujourd’hui le plus grand facteur d’intolérance, ce sont les médias. »

Le Monde, 18 décembre 2002

2/ Au bout du compte

Après 14 ans de « chavisme », voici l’évolution du Venezuela au travers de quelques indicateurs marquants.

Croissance annuelle moyenne:

  • entre 1999 et 2012 : 3,2 %
  • en 2003 (lors du lock-out pétrolier) : — 10 %
  • entre 2004 et 2012 : 4,3%

Déficit public (2012) : 7 %

Fuite de capitaux entre 2003 et 2012:

  • 150 milliards de dollars

Inégalités : le Venezuela est devenu le pays le plus égalitaire de la région

Proportion de pauvres :

  • en 1999 : 49,4 %
  • en 2010 : 27,8 %

Proportion d’indigents :

  • en 1999 : 21,7 %
  • en 2010 : 10,7%

Taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire :

  • en 2000: 53,6 %
  • en 2011 :71,1 %

Croissance des dépenses de santé:

  • entre 2000 et 2010: 61 %

Croissance du nombre de personnes percevant une pension de retraite :

  • entre 1998 et 2011 : 472 %

Rang mondial des réserves de pétrole prouvées :

  • ler, devant l’Arabie saoudite

Production pétrolière :

  • en 1998 : 3,5 millions de barils par jour
  • en 2012 : 2,5 millions de barils par jour

Part des produits alimentaires de base importés :

  • en 1998 : 90 %
  • en 2012 : 30 %

Fonds versés par les Etats-Unis aux groupes d’opposition :

  • en 2000 : 230 000 dollars
  • en 2003: 10 millions de dollars
    en 2012 : 20 millions de dollars

Elections :

  • depuis 1999: 16
  • remportées par Hugo Chavez : 15

Nombre de médecins pour 10 000 habitants :

  • en 1996: 18
    en 2012 : 58
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Citation de Michel Serres

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Michel Serres, est un philosophe, historien des sciences et homme de lettres français.

« La science c’est ce que adultes apprennent aux enfants, la technologie c’est ce que les enfants apprennent aux adultes.« 

Michel Serres, philosophe et historien des sciences Français, (1930-)

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« C’était ça, Monsieur, l’éducation populaire! », entretien avec Mademoiselle Faure

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Christiane Faure est le personnage central du spectacle de Franck Lepage sur la culture. Totalement bluffé par la ferveur et la conviction de cette femme, qui fut la première directrice de l’éducation populaire au sein du ministère de l’éducation nationale en 1944, il en fait une figure mythique de l’éducation populaire, cette grande idée humaniste d’après-guerre. Tout aussi fascinés que M. Lepage, nous avons retrouvé un entretien réalisé avec la dame, initialement publié dans la revue Cassandre (Cassandre N°63, 20 Octobre 2005). Leçon de vie avec « Mademoiselle Faure ».

Le texte de cet entretien est extrait d’une retranscription du blog « Nec pluribus impar ».
Cassandre Education populaire, avenir d'une utopie

"Éducation populaire, avenir d'une utopie", Cassandre n°63

Christiane Faure raconte que sa prise de conscience date de la promulgation des lois juives par l’État Français alors professeur de lettres au lycée de jeunes filles d’Oran, en Algérie. Elle se dit « choquée par la tranquillité avec lesquelles ces lois antisémites ont été acceptées et mises en œuvre par mes collègues.

« Sur un effectif d’enseignants tel que celui du grand lycée d’Oran, nous n’étions pas plus de trois professeurs à nous offusquer d’une telle mesure. »

Après le débarquement américain fin 1942, De Gaulle a abrogé les lois nationales, et elle entre dans le Gouvernement provisoire d’Alger, dans un service de René Capitant, Ministre de l’Éducation Nationale, « le service des colonies », chargé de remettre sur des pieds républicains les textes officiels.

« La « laïcité » [au sens politique du terme] imposée aux enseignants ne me convenait plus. Elle empêchait tout contact direct avec les jeunes, toute explication franche, directe, c’est à dire politique, avec la jeunesse. La Laïcité devenait une religion qui isolait comme les autres. Avec des adultes, il me semblait que le laïcisme ne jouait pas. Qu’on pourrait dire, dans un cadre d’éducation des adultes tout ce qu’on voudrait : d’où mon choix pour l’éducation populaire : cadre neuf, cadre libre, ou pourrait se développer l’esprit critique. »

Jean Geheno

Jean Guéhenno (ancien ouvrier devenu professeur émérite et écrivain de talent NDLR) crée un service d'éducation des adultes : un "bureau de l’éducation populaire", Christiane Faure accepte de s'en charger.

« Mais la question était : qui va nous faire tout cela ? Qui va mettre en œuvre ce programme d’éducation populaire ? Des instituteurs ? Non. Des « instructeurs » recrutés dans la « culture populaire » (Théâtre, cinéma, presse, radio, livre, photographie, etc…). L’Éducation populaire ce n’était pas le livre, la philo ou la réflexion à la portée de tous, mais aider les gens à s’exprimer. Il fallait développer l’esprit critique et pour cela il fallait faire culture de tous bois. Tous les moyens d’expression étaient bons : photo, cinéma, théâtre,…tout ! »

En octobre 1944, le corps des « instructeurs spécialisés » est créé par Jean Guéhenno, directeur des mouvements de Jeunesse et de la culture populaire. Il souhaite que l’État dispose de cadres très qualifiés qui soient à la fois bons pédagogues et bons techniciens, pour assurer la formation des animateurs des mouvements et institutions de jeunesse.

Les techniques représentées dès l’origine sont :

  • l’art dramatique avec Hubert Gignoux, Olivier Hussenot, André Crocq, Yves Joly, Henri Cordreaux,  Jean Rouvet, Charles Antonetti, Marie Diemesch, et plus tard Jean Rodien et Jean Pierre Ronfart
  • les arts plastiques avec Lucette Chesneau, Pierre Hussenot, Jean François, et plus tard Lucien Lautrec, et Gilles Duché qui se spécialisera dans les décors et costumes de théâtre qu’il fera exécuter dans un grand nombre de stages de réalisation de théâtre
  • la musique, avec César Geoffray, puis William Lemit, (essentiellement le chant choral), André Verchali, Raphaël Passaquet, Jean Pesneau
  • La danse folklorique avec Thérèse Paleau, Pierre Goron et Pierre Panis
  • le cinéma avec Marcel Cochin, Jean Le Landais, puis Marcel Deherpe, Jean Pauty
  • l’initiation à l’éducation populaire (techniques de débats, de cercles d’études, de visites dirigées, etc.) avec Mlle Nicole Lefort des Ylouses, ou à la pédagogie nouvelle avec Anne Jacques
  • La radio, avec Robert Barthès
  • Les travaux manuels éducatifs avec Albert Boeckhotdt
  • Les arts et traditions populaires avec Mme Marinette Journoud- Aristow.

Ce secteur est à l’origine dirigé par M. Bayen, avec le concours de Christiane Faure et  Jean Blanzat. Sous leur direction, Hubert Gignoux était responsable de la coordination des activités des instructeurs d’art dramatique. Après une lutte d’influence entre gaullistes et communistes, la direction de l’éducation populaire est finalement « fusionnée pour mesure d’économie publique » avec la direction de l’éducation physique et des activités sportives, pour donner naissance à une « direction générale de la jeunesse et des sports ».

La période Algérienne

Christiane Faure décide de quitter la métropole et de retourner en Algérie en juillet 1946,  là où l’éducation populaire n’est pas rattachée aux sports, avec pour tâche de créer une maison de la culture à Blida, où elle fera venir artistes et intellectuels comme Roblès (né à Oran NDLR) ou Camus (né à Mondovi-ALgérie NDLR).

« On allait animer les foyers ruraux avec du cinéma et des débats. On faisait tout. On nous prenait pour des communistes. Les événements n’ont pas tardé à se profiler. Je me rappelle d’un général commandant la région qui me dit : Mlle Faure je vous attendais. J’ai eu l’idée de rédiger un volume à la gloire des combattants français et de leur héroïsme. Je lui réponds que c’est une idée stupide et que l’héroïsme des combattants d’en face est au moins égal. Il a failli s’étrangler et m’a demandé si j’étais communiste. Je l’ai calmé et je lui ai proposé de monter un stage de dessin avec 70 bidasses. Il n’en voyait absolument pas l’intérêt. On est allé avec les gosses et les jeunes du pays dessiner la faune et la flore des hauts plateaux. L’exposition qui en a résulté était formidable. La grande différence entre l’éducation populaire et le sport, c’est que le sport c’est facile : vous remplissez un stade avec le moindre match de foot, et en plus vous gagnez de l’argent ! Mais l’éducation populaire était toujours suspecte. Je me rappelle des plus grandes difficultés que nous avons eu en proposant aux militaires un stage pour leur apprendre à peindre sur la soie de leur grande écharpe. »

« J’ai accepté que les Arabes jouent en arabe (notamment à la maison des jeunes que dirigeait Jean Nehr). Le général m’avait demandé pourquoi, et je lui avais répondu : « parce que j’ai comme travail d’aider les jeunes à s’exprimer ». »

Theatre de Mostaganem

Théâtre de Mostaganem

« J’avais un instructeur arabe, Mr Katli, à la Maison des Jeunes de Mostaganem. »

« La troupe de Katli jouait au théâtre municipal, et le soir à la MJC. Il y avait eu un beau scandale parce que l’une des répliques était « celui qui a désappris de mourir est libre ». C’était monté jusqu’au commandant de la place et j’avais du m’expliquer : on s’étonnait que mon service présente des troupes arabes, dans lesquelles jouaient aussi bien le boulanger que le coiffeur local. Pourtant, j’ai toujours défendu le fait que l’éducation populaire était d’abord à base d’action artistique. Je faisais de l’art, et j’étais à mille lieues des Centres sociaux, de leur démarche, et de leurs affiches : « comment empêcher la diarrhée », etc. »

« Charles Hagues était un inspecteur principal jeunesse qui avait finalement pris la tête des centres sociaux musulmans en Algérie. Ils leur apprenaient à lire et à signer. J’ai refusé de m’occuper des centres sociaux. Cinq inspecteurs ont été tués par l’OAS. »

« Je voulais une démarche artistique la plus exigeante. Vélasquez disait à propos des tableaux : « aux Marthe, je préfère les Marie ». Les spectacles présentés par des instructeurs comme Henri Cordreaux qui m’ont rejoint en Algérie, ou Mr Desoughes n’avaient rien à envier à ceux de la Comédie Française. C’était absolument étonnant. De ce fait les Instructeurs Dramatiques Spécialisés jouissaient d’une très grande indépendance pédagogique et politique, parce qu’on ne pouvait pas douter de leur qualité. » (Contrairement à leurs collègues métropolitains, ils avaient le droit de faire partie de troupes de théâtre en dehors de leurs activités éducatives NDLR)

« Mr Desoughes avait monté sur l’esplanade du fort de Mers El Khébir une « Dévotion à la croix » dans la traduction de Camus, d’une incroyable intensité, devant un public espagnol en grande partie (il y avait une très importante communauté espagnole à Oran NDLR). De même pour monter « l’Espagnol Courageux » de Roblès, il était allé chercher des chevaux dans le sud. Le spectacle était précédé d’une visite d’Oran, où Roblès avait montré l’Espagne en Oranie aux autorités, à travers l’architecture, etc. »

« Il y avait une très grande liberté car tout le monde travaillait dans le même but, et avait une même ardeur : celle de l’amour du théâtre et de l’éducation populaire. J’ai des souvenirs éblouissants de spectacles comme « Barouffe à Chioggia », sur le port de Mers El Kébir, avec toute la population ! »

« Nous avons même réalisé un montage sur le tabac !!! Pour un spectacle sur Moby Dick de Melville, nous avions fait venir de Suède un des premiers magnétophones dignes de ce nom (les « Tandberg » ont longtemps été le matériel fétiche des CTP, NDLR), et pour avoir le bruit de la mer nous avons cherché toute une nuit, nous avons finalement fait glisser du manioc sur une plaque de four ! Tout cela était neuf, ça n’était pas « usé », vous comprenez ? Un autre jour j’avais fait deux cents kilomètres dans le désert pour aller faire une lecture du « vieil homme et la mer ». J’arrive, ils avaient tendu un écran et installé des gradins. Ils croyaient que ce serait du cinéma. Eh bien je leur ai dit : non, ce ne sera pas du cinéma, ce sera un livre. Et j’ai commencé à lire avec mon instructeur. On se partageait les rôles. Tout le monde est resté. Au bout de deux heures, applaudissements. C’était cela, monsieur, l’éducation populaire! »

– Question : Mais, Mlle Faure, pourquoi vous, inspectrice, réalisiez vous vous-même de telles tâches, normalement du ressort des instructeurs ?

« Mais… Mais monsieur…mais l’ardeur, ça compte, l’ardeur ? Non ? »

« J’ai présenté « La chute » de Camus, après sa mort, dans une version qui a beaucoup dérangé : tout le monde voulait que ce soit catholique ! J’ai présenté des soirées sur René Char, à Oran, où je lisais les poèmes dans le grand théâtre d’Oran. J’ai présenté Van Gogh à partir de ses « lettres à Théo ». J’ai présenté une lecture de Rimbaud, dans la pléiade, toute une nuit. Ça n’avait pas tellement plu aux catholiques. Je me rappelle d’une soirée débat après une projection du cuirassé Potemkine, où je m’étais empoignée avec des jeunes communistes trop naïvement enthousiastes. C’était l’esprit critique qui comptait. A un moment, j’ai eu quatre instructeurs, notamment en photo, et en arts plastiques, dont Jacques Schmitt  qui avait reçu un premier prix de costumes » (et qui est venu faire des merveilles à Voiron à l’occasion du départ en retraite de Jean Rodien NDLR).

« Je me rappelle avoir dit à ce jeune instructeur qui n’avait pas fait ses preuves : « je ne vous permettrai ni Molière, ni Racine, ni Marivaux ! » « Pour le Marivaux que nous avions monté avec Cordreaux, c’était un jeune homme encore inconnu qui s’appelait Yves Saint Laurent (né à Oran NDLR) qui nous avait fait les costumes ! Il m’a toujours semblé que la dimension artistique était la bonne à Jeunesse et Sports. La culture commence avec l’étude de la forme. Mais pas à la manière de  Jeanne Laurent, (Directrice des arts et lettres, dans le même ministère de l’éducation nationale NDLR) tout droit sortie de la cuisse de Jupiter ! Chez nous il s’agissait d’ouvrir au beau et à la discussion. »

« Et puis nous avons été obligés de partir. »

Le retour en métropole

« Rentrée en France, mon désappointement a été sans limites. Quelle différence ! D’abord la jeunesse était collée aux sports. L’ambiance n’avait plus rien à voir. J’étais dégoûtée. Je m’étais permis de demander à Herzog « que va devenir l’éducation populaire dans tout cela ? ». »

« Rapatriée d’Algérie, et ne voulant plus travailler à Jeunesse et Sports tel que cela fonctionnait en France, je me suis tournée vers Pierre Moinot. J’avais écrit à Malraux, à propos de la Jeunesse et des Sports : « N’oubliez pas qu’il y a là-bas (à J&S) les instructeurs ». Que pouvais-je faire à « Jeunesse et Sports » ? Je n’ai jamais aimé la jonction « Jeunesse » et « Sports ». Rentrée d’Algérie où les deux concepts n’étaient pas liés, je suis allée trouver Pierre Moinot pour lui proposer mes services dans la construction des Maisons de la culture. Tout le monde nourrissait alors un véritable culte pour mon beau-frère Albert Camus, qui avait défendu l’idée de Maisons de la Culture, lesquelles, pour finir, sont devenues des théâtres ! C’était une période communisante. J’avais dit à l’un de mes instructeurs en Algérie : « Vous ne pensez pas si vous pensez tous la même chose ». Tout le monde jouait du Brecht dans ces Maisons de la Culture. »

« C’est au cours d’une nuit d’enthousiasme fébrile qu’à trois, avec Robert Brichet et Pierre Moinot, fut accouchée en 1959 la célèbre formule définissant la mission du nouveau ministère des Affaires culturelles : « Donner au plus grand nombre, et d’abord aux Français…etc. ». Mon séjour au ministère des affaires culturelles a duré deux semaines ! Pierre Moinot m’a conseillé de retourner à Jeunesse et Sports, devant le manque d’argent et l’incertitude liée à l’avenir d’un tel ministère. Je suis donc retournée vers Brichet, et j’ai travaillé là jusqu’en 1972. »

« Et puis est arrivé le moment ou les directeurs étaient politisés… Au service d’une politique. Tout a changé. Après le traumatisme de 68. Le ministre Comiti avait même chargé un de ses subordonnés de nous demander de rédiger des fiches sur chacun de nos employés ! Nous avons mis notre démission dans la balance. Robert Brichet qui était un vrai démocrate aurait du devenir directeur de la jeunesse. Il n’a pas été nommé, contre toute attente. »

« Je suis partie à la retraite en 1972. »

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Citation de Franck Lepage

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Franck Lepage, SCOP Le Pavé, admirateur de Christiane Faure pillier de l'Education Populaire

« L’égalité des chances c’est la garantie que pour le lièvre comme pour la tortue, la ligne de départ sera la même.« 

Franck Lepage, fondateur de la coopérative d’éducation populaire Le Pavé et animateur de « conférences gesticulées »

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