L’effondrement de notre civilisation industrielle. Voilà une idée effrayante qui fait pourtant son chemin. Elle a aujourd’hui largement quitté des milieux millénaristes et survivalistes, dans lesquels elle restait jusque là cantonnée, pour gagner la communauté scientifique et les colonnes des journaux les plus sérieux. Voilà même que l’ « effondrement » est évoqué par le premier ministre Édouard Philippe lors d’un live un peu hors sol devenu célèbre avec Nicolas Hulot.
Mais est-ce pour autant crédible ? Joue-t-on seulement à se faire peur ? Doit-on (vraiment) se préparer au pire ? Comment le faire ? Ces « collapsologues » qui nos promettent la catastrophe, sont-ils les nouveaux prophètes de notre époque ? Quelles sont les limites à leur théorie ? Tentative de réponse en trois volets.
Depuis la sortie en 2015 de « Comment tout peut s’effondrer », nous observons que le milieu écolo-progressiste dans un premier temps, puis ensuite la presse généraliste quand le phénomène a pris de l’ampleur, font une critique largement élogieuse de l’ouvrage de Pablo Servigne et de Raphaël Stevens. L’an dernier Frédéric Joignot analysait par exemple l’ouvrage en ces termes :
« Après avoir compilé une impressionnante quantité de méta-analyses portant sur l’aggravation du réchauffement, l’épuisement des ressources énergétiques, alimentaires, forestières, halieutiques et métallifères, leur thèse est claire : les écosystèmes s’écroulent, la catastrophe a commencé pour l’humanité. Elle va s’accélérer. Et la « collapsologie » est la nouvelle science interdisciplinaire qui regroupe les études, faits, données, prospectives, scénarios qui le démontrent. »
Il va de soi que l’on trouve en revanche moult critiques frontales du livre parmi la sphère climato-sceptique ou réactionnaire, mais nous ne les traiteront pas dans cet article dont ce n’est pas l’objet. Nous nous intéresserons ci-après aux critiques qui peuvent être formulée à la collapsologie par les milieux dont les chercheurs se réclament. C’est à dire que nous nous focaliserons sur les tirs venant de leur propre camp: qu’est-ce que les écologistes et progressistes trouvent à redire sur la collapsologie ? En quoi « Comment tout peut s’effondrer » est-il critiquable ?
3.1/ La clé de voute du raisonnement repose sur une publication scientifique contestée
« La collapsologie une catastrophe politique » par Game of Earth, Dr Ripeur et Le Stagirite sur la chaine Convergences
Nous l’avons abordé lors du premier article consacré à l’effondrement, l’étape clé de l’argumentation amenant les collapsologues dans leur livre à conclure à un effondrement proche de notre société, c’est l’idée selon laquelle plus une société est complexe plus elle est fragile. Ce raisonnement se base sur les travaux de Joseph Tainter détaillés dans son livre « The collapse of Complex societies », dans lequel il développe l’idée que les sociétés qui se complexifient seraient vouées à s’effondrer, du fait de leur complexité, de leur inertie, et de leur besoin croissants en énergie pour se maintenir. Pour ce scientifique ce serait comme une loi de la nature, et Servigne et Stevens se servent de ces recherches pour démontrer la fragilité de nos sociétés industrielles ultra-complexes.
Seulement voilà, dans la communauté scientifique, cette fameuse publication de Tainter est loin de faire l’unanimité. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est sulfureuse et contestée. On en conteste notamment les résultats et surtout sa pertinence en projection. Hors c’est justement ce pour quoi les auteurs l’utilisent…
Pourquoi les collapsologues donne une place aussi centrale à une étude non accréditée par la communauté scientifique ? C’est d’autant plus étonnant que dans leur livre Servigne et Stevens – eux-même – admettent que ces résultats sont parfois contestés, mais ils n’en font pas moins le pivot de leur raisonnement.
Si le « système » n’est pas aussi fragile et vulnérable qu’on veut bien le dire, il n’est peut-être pas aussi près de s’effondrer ? (Quand bien-même ses fondamentaux – comme la croissance sans fin dans un monde fini – serait insoutenables sur le long-terme). Cela n’invalide pas forcément toute la théorie de la collapsologie, mais l’effondrement pourrait être beaucoup moins proche, et beaucoup moins abrupte…
C’est une faiblesse du livre que mettent en avant un certains nombre de lecteurs critiques issus des sciences sociales. Il faut à ce sujet aller écouter l’excellente émission « La collapsologie une catastrophe politique » publiée sur la chaîne Convergences par Lan de Game of Earth, Étienne de Dr Ripeur et Fabrice de Stagirite.
3.2/ Une analyse psychologisante en réalité bien peu scientifique
Un autre reproche récurrent qui est fait à Servigne et Stevens à propos de « Comment tout peut s’effondrer« , c’est la surabondance de l’argumentaire intuitif. En effets les auteurs font un appel régulier à l’ « intuition » des lecteurs. Le livre étant par ailleurs supposé révéler un « sentiment intérieur enfoui ». Pablo Servigne explique même régulièrement en conférence « les gens réalisent souvent qu’au fond d’eux-même ils l’ont toujours su ». C’est aussi le genre de réponse qu’il fournit à chaque fois quand on l’interroge sur la date de l’effondrement à venir: « il n’est pas possible de le prévoir scientifiquement […] il faut se baser sur notre intuition […] la mienne est que l’on est sur une fourchette entre 2020 et 2030 ».
Le moins que l’on puisse dire c’est que ces appels réguliers à l’intuition peuvent surprendre… Et ils font particulièrement mauvais genre lorsqu’ils sont allégrement amalgamés avec les bases scientifiques du reste du raisonnement.
Une nouvelle fois, pourquoi les auteurs, s’ils se réclament d’une démarche scientifique, ont-ils recours à des arguments scientifiquement discutables ?
3.3/ Une abstraction de l’analyse des rapports de force de la société
La dernière grande catégorie de critiques qui sont adressées à Servigne et Stevens concerne leur démarche analytique. On leur reproche de ne pas assez considérer l’apport des sciences humaines et d’avoir une approche surtout orientée sur l’économie et la psychologie individuelle. La collapsologie devrait au contraire pendre en compte les rapports de force et de domination des sociétés existantes.
Complément d’enquête de Juin 2019 dédié à la fin du monde: et si c’était sérieux ?
Au lieu de cela les collapsologues ne remettent pas en cause la stratification sociale et l’ordre social en place. Ils se concentrent sur les responsabilités collectives et le monde d’après. Ce qui explique sans doute leur médiatisation (qui peut surprendre quand on y pense un instant: pourquoi donc les médias de masses donnent-ils une telle place à ce pessimisme catastrophiste ?). La collapsologie est médiatiquement valorisée puisqu’elle permet de réfléchir sur des enjeux de société nous concernant tous, sans questionner les responsabilités différenciées de chaque classe sociale dans la situation écologique actuelle.
Par ailleurs, dans la même veine, on peut aussi regretter que les collapsologues donnent souvent l’impression de voir l’effondrement comme une chance pour bâtir une nouvelle société. Cela pose question puisque les dégâts sociaux et politiques d’un effondrement sont, de fait, minimisés. Pourtant, il serait aisé de démontrer le désastre que représenterait un effondrement non-politique du système actuel pour une grosse part de la population. En effet, l’humanité est traversée par d’importants systèmes de domination (genre, race, classe, etc), sur lesquels s’appuieraient les dominant-es en cas d’effondrement pour garantir leur confort dans le monde d’après.
Cette vision leur fait envisager l’effondrement comme quelque chose d’assez soudain et qui permettrait un retour à zéro et la construction d’une société nouvelle à plus petite échelle. Mais qui peut penser que les forces dominantes ne tenteront pas par tous les moyens d’essayer de perpétuer leur domination dans le nouveau système ? En d’autre termes est-il raisonnable de croire que Google, Bernard Arnault ou l’État Français laisseront les communautés solidaires de Servigne se développer tranquillement à leur dépend en plein effondrement ? Au contraire il est plutôt probable que ces énormes institution (milliardaires, états ou multinationales) soient les dernières à s’effondrer en emportant tout dans leur sillage.
C’est un raisonnement que développe par Bruno Latour dans son livre « Où atterrir ? », dans lequel il explique que selon lui les dominants ont même déjà intégré l’effondrement dans leur réflexion:
» Les classes dirigeantes comprennent que le naufrage est assuré ; s’approprient les canots de sauvetage ; demandent à l’orchestre de jouer assez longtemps des berceuses afin qu’elles profitent de la nuit noire pour se carapater avant que la gîte excessive alerte les autres classes ».
3.4/ Un livre qui tue tout projet politique ?
Le problème de la collapsologie disent les intervenants de l’émission sur Convergences, c’est qu’elle ne présente aucune remise en question des choix politiques et techniques des derniers siècles, ni de l’ordre politique, social et économique en place qui en est l’héritier direct.
En somme ils reprochent surtout au livre de tuer tout projet politique dans l’œuf et d’anesthésier toute velléité de changement avec cette promesse d’effondrement. Ils font remarquer que le monde d’après effondrement ne pourra être que meilleur de tous les combats qui auront été menés avant ou pendant la crise, et que la compréhension et le renversement des rapports de force dans la société n’en seront pas moins indispensables. L’effondrement ne doit pas être la fin de la politique, bien au contraire.
Cette critique un peu frontale de la collapsologie par la sociologie gagnerait sans doute à être plus constructive car elle n’est parfois pas loin du procès d’intention (« on dirait qu’ils espèrent l’effondrement », « il sait très bien adapter son discours à son auditoire » etc). Mais en enrichissant la masse des documents réunis par Stevens et Servigne d’une analyse plus sociologique on obtiendrait un éclairage certains sur un concept qui reste véritablement crédible. Nous sommes très probablement dans une société tellement déséquilibrée dans tous les domaines qu’elle est condamnée à s’effondrer, mais peut-être de façon plus progressive et moins inédite dans l’Histoire que ce ne l’imaginent les collapsologues. Dans tous les cas, la solution est indiscutablement de commencer à préparer la société de demain dès maintenant, y compris en intégrant les rapports de domination dans l’analyse.
PS: Pablo Servigne prépare apparemment un « tome 3 » qui serait plus orienté sur une réaction politique à l’effondrement (après le tome 2 qui était dédié à la réaction intérieure/individuelle). Peut-être est-ce là un début de prise en compte de cette critique des sociologues ?
Cet article vient clore cette trilogie sur la collapsologie et l’effondrement. Vous pouvez retrouver le premier article consacré à la crédibilité à accorder au sujet de l’effondrement, et le second article dédié à ce que cela implique et sur les conclusions à en tirer.
Aller plus loin:
Collapsologie et effondrement: pourquoi le livre de Servigne et Stevens est discutable (3/3)
L’effondrement de notre civilisation industrielle. Voilà une idée effrayante qui fait pourtant son chemin. Elle a aujourd’hui largement quitté des milieux millénaristes et survivalistes, dans lesquels elle restait jusque là cantonnée, pour gagner la communauté scientifique et les colonnes des journaux les plus sérieux. Voilà même que l’ « effondrement » est évoqué par le premier ministre Édouard Philippe lors d’un live un peu hors sol devenu célèbre avec Nicolas Hulot.
Mais est-ce pour autant crédible ? Joue-t-on seulement à se faire peur ? Doit-on (vraiment) se préparer au pire ? Comment le faire ? Ces « collapsologues » qui nos promettent la catastrophe, sont-ils les nouveaux prophètes de notre époque ? Quelles sont les limites à leur théorie ? Tentative de réponse en trois volets.
NB: La première partie de ce dossier a été publiée sous le titre « Collapsologie et effondrement: pourquoi c’est pas si déconnant »
NB: La deuxième partie de ce dossier a été publiée sous le titre « Collapsologie et effondrement: alors du coup on fait quoi ? »
Depuis la sortie en 2015 de « Comment tout peut s’effondrer », nous observons que le milieu écolo-progressiste dans un premier temps, puis ensuite la presse généraliste quand le phénomène a pris de l’ampleur, font une critique largement élogieuse de l’ouvrage de Pablo Servigne et de Raphaël Stevens. L’an dernier Frédéric Joignot analysait par exemple l’ouvrage en ces termes :
Il va de soi que l’on trouve en revanche moult critiques frontales du livre parmi la sphère climato-sceptique ou réactionnaire, mais nous ne les traiteront pas dans cet article dont ce n’est pas l’objet. Nous nous intéresserons ci-après aux critiques qui peuvent être formulée à la collapsologie par les milieux dont les chercheurs se réclament. C’est à dire que nous nous focaliserons sur les tirs venant de leur propre camp: qu’est-ce que les écologistes et progressistes trouvent à redire sur la collapsologie ? En quoi « Comment tout peut s’effondrer » est-il critiquable ?
3.1/ La clé de voute du raisonnement repose sur une publication scientifique contestée
« La collapsologie une catastrophe politique » par Game of Earth, Dr Ripeur et Le Stagirite sur la chaine Convergences
Nous l’avons abordé lors du premier article consacré à l’effondrement, l’étape clé de l’argumentation amenant les collapsologues dans leur livre à conclure à un effondrement proche de notre société, c’est l’idée selon laquelle plus une société est complexe plus elle est fragile. Ce raisonnement se base sur les travaux de Joseph Tainter détaillés dans son livre « The collapse of Complex societies », dans lequel il développe l’idée que les sociétés qui se complexifient seraient vouées à s’effondrer, du fait de leur complexité, de leur inertie, et de leur besoin croissants en énergie pour se maintenir. Pour ce scientifique ce serait comme une loi de la nature, et Servigne et Stevens se servent de ces recherches pour démontrer la fragilité de nos sociétés industrielles ultra-complexes.
Seulement voilà, dans la communauté scientifique, cette fameuse publication de Tainter est loin de faire l’unanimité. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est sulfureuse et contestée. On en conteste notamment les résultats et surtout sa pertinence en projection. Hors c’est justement ce pour quoi les auteurs l’utilisent…
Pourquoi les collapsologues donne une place aussi centrale à une étude non accréditée par la communauté scientifique ? C’est d’autant plus étonnant que dans leur livre Servigne et Stevens – eux-même – admettent que ces résultats sont parfois contestés, mais ils n’en font pas moins le pivot de leur raisonnement.
Si le « système » n’est pas aussi fragile et vulnérable qu’on veut bien le dire, il n’est peut-être pas aussi près de s’effondrer ? (Quand bien-même ses fondamentaux – comme la croissance sans fin dans un monde fini – serait insoutenables sur le long-terme). Cela n’invalide pas forcément toute la théorie de la collapsologie, mais l’effondrement pourrait être beaucoup moins proche, et beaucoup moins abrupte…
C’est une faiblesse du livre que mettent en avant un certains nombre de lecteurs critiques issus des sciences sociales. Il faut à ce sujet aller écouter l’excellente émission « La collapsologie une catastrophe politique » publiée sur la chaîne Convergences par Lan de Game of Earth, Étienne de Dr Ripeur et Fabrice de Stagirite.
3.2/ Une analyse psychologisante en réalité bien peu scientifique
Un autre reproche récurrent qui est fait à Servigne et Stevens à propos de « Comment tout peut s’effondrer« , c’est la surabondance de l’argumentaire intuitif. En effets les auteurs font un appel régulier à l’ « intuition » des lecteurs. Le livre étant par ailleurs supposé révéler un « sentiment intérieur enfoui ». Pablo Servigne explique même régulièrement en conférence « les gens réalisent souvent qu’au fond d’eux-même ils l’ont toujours su ». C’est aussi le genre de réponse qu’il fournit à chaque fois quand on l’interroge sur la date de l’effondrement à venir: « il n’est pas possible de le prévoir scientifiquement […] il faut se baser sur notre intuition […] la mienne est que l’on est sur une fourchette entre 2020 et 2030 ».
Le moins que l’on puisse dire c’est que ces appels réguliers à l’intuition peuvent surprendre… Et ils font particulièrement mauvais genre lorsqu’ils sont allégrement amalgamés avec les bases scientifiques du reste du raisonnement.
Une nouvelle fois, pourquoi les auteurs, s’ils se réclament d’une démarche scientifique, ont-ils recours à des arguments scientifiquement discutables ?
3.3/ Une abstraction de l’analyse des rapports de force de la société
La dernière grande catégorie de critiques qui sont adressées à Servigne et Stevens concerne leur démarche analytique. On leur reproche de ne pas assez considérer l’apport des sciences humaines et d’avoir une approche surtout orientée sur l’économie et la psychologie individuelle. La collapsologie devrait au contraire pendre en compte les rapports de force et de domination des sociétés existantes.
Complément d’enquête de Juin 2019 dédié à la fin du monde: et si c’était sérieux ?
Au lieu de cela les collapsologues ne remettent pas en cause la stratification sociale et l’ordre social en place. Ils se concentrent sur les responsabilités collectives et le monde d’après. Ce qui explique sans doute leur médiatisation (qui peut surprendre quand on y pense un instant: pourquoi donc les médias de masses donnent-ils une telle place à ce pessimisme catastrophiste ?). La collapsologie est médiatiquement valorisée puisqu’elle permet de réfléchir sur des enjeux de société nous concernant tous, sans questionner les responsabilités différenciées de chaque classe sociale dans la situation écologique actuelle.
Par ailleurs, dans la même veine, on peut aussi regretter que les collapsologues donnent souvent l’impression de voir l’effondrement comme une chance pour bâtir une nouvelle société. Cela pose question puisque les dégâts sociaux et politiques d’un effondrement sont, de fait, minimisés. Pourtant, il serait aisé de démontrer le désastre que représenterait un effondrement non-politique du système actuel pour une grosse part de la population. En effet, l’humanité est traversée par d’importants systèmes de domination (genre, race, classe, etc), sur lesquels s’appuieraient les dominant-es en cas d’effondrement pour garantir leur confort dans le monde d’après.
Cette vision leur fait envisager l’effondrement comme quelque chose d’assez soudain et qui permettrait un retour à zéro et la construction d’une société nouvelle à plus petite échelle. Mais qui peut penser que les forces dominantes ne tenteront pas par tous les moyens d’essayer de perpétuer leur domination dans le nouveau système ? En d’autre termes est-il raisonnable de croire que Google, Bernard Arnault ou l’État Français laisseront les communautés solidaires de Servigne se développer tranquillement à leur dépend en plein effondrement ? Au contraire il est plutôt probable que ces énormes institution (milliardaires, états ou multinationales) soient les dernières à s’effondrer en emportant tout dans leur sillage.
C’est un raisonnement que développe par Bruno Latour dans son livre « Où atterrir ? », dans lequel il explique que selon lui les dominants ont même déjà intégré l’effondrement dans leur réflexion:
3.4/ Un livre qui tue tout projet politique ?
Le problème de la collapsologie disent les intervenants de l’émission sur Convergences, c’est qu’elle ne présente aucune remise en question des choix politiques et techniques des derniers siècles, ni de l’ordre politique, social et économique en place qui en est l’héritier direct.
En somme ils reprochent surtout au livre de tuer tout projet politique dans l’œuf et d’anesthésier toute velléité de changement avec cette promesse d’effondrement. Ils font remarquer que le monde d’après effondrement ne pourra être que meilleur de tous les combats qui auront été menés avant ou pendant la crise, et que la compréhension et le renversement des rapports de force dans la société n’en seront pas moins indispensables. L’effondrement ne doit pas être la fin de la politique, bien au contraire.
Cette critique un peu frontale de la collapsologie par la sociologie gagnerait sans doute à être plus constructive car elle n’est parfois pas loin du procès d’intention (« on dirait qu’ils espèrent l’effondrement », « il sait très bien adapter son discours à son auditoire » etc). Mais en enrichissant la masse des documents réunis par Stevens et Servigne d’une analyse plus sociologique on obtiendrait un éclairage certains sur un concept qui reste véritablement crédible. Nous sommes très probablement dans une société tellement déséquilibrée dans tous les domaines qu’elle est condamnée à s’effondrer, mais peut-être de façon plus progressive et moins inédite dans l’Histoire que ce ne l’imaginent les collapsologues. Dans tous les cas, la solution est indiscutablement de commencer à préparer la société de demain dès maintenant, y compris en intégrant les rapports de domination dans l’analyse.
PS: Pablo Servigne prépare apparemment un « tome 3 » qui serait plus orienté sur une réaction politique à l’effondrement (après le tome 2 qui était dédié à la réaction intérieure/individuelle). Peut-être est-ce là un début de prise en compte de cette critique des sociologues ?
Cet article vient clore cette trilogie sur la collapsologie et l’effondrement. Vous pouvez retrouver le premier article consacré à la crédibilité à accorder au sujet de l’effondrement, et le second article dédié à ce que cela implique et sur les conclusions à en tirer.
Aller plus loin: