« Watchmen » de Alan Moore et Dave Gibbons avait été formidablement adapté en Français par Jean-Patrick Manchette dans une première édition chez Delcourt. Seulement celle-ci était épuisée depuis des années et le nouveau détenteur des droits, Panini comics, avait ré-adapté la BD culte avec une traduction que la plupart des fans ne jugeaient pas à la hauteur de l’œuvre… Dès lors, sur le marché de l’occasion, l’intégrale « Watchmen » aux Éditions Delcourt a commencé a valoir une petite fortune…
La quête ultime d’un amateur de BD
Mon histoire avec « Watchmen » a commencée il y a une petite dizaine d’années. A l’époque un de mes amis, grand fan de bandes dessinées devant l’éternel, me glisse un soir entre les mains l’intégrale en édition originale (voir ci-contre). Je dévore toute la nuit durant le pavé comme un bon roman, et adhère sans limite à ce récit qui est d’un genre assez nouveau pour moi. Cette BD était tout simplement sublime !
Vint ensuite le moment où je du rendre le livre à mon ami… J’étais un peu triste de me séparer d’un tel ouvrage parce que je suis du genre à aimer avoir les livres dans ma bibliothèque, pour pouvoir les relire à ma guise ou les prêter à qui bon me semble. Et puis naïvement je m’imagine volontiers qu’il est important d’en conserver un exemplaire… au cas-où. Je suis sûr que certains lecteurs comprendront cette maniaquerie de collectionneur, qui comme vous pouvez l’imaginer peut aussi jouer des tours au porte-monnaie. Dès lors je me suis mis en quête de mon propre exemplaire de l’intégrale de « Watchmen ». Très vite j’appris que le livre n’était plus édité, et que la nouvelle maison disposant des droits, Panini comics, avait ré-adapté le livre en le faisant retraduire. Une traduction que les fans rejettent en masse, la considérant comme bâclée. Je comprends alors que la seule possibilité de combler mon âme de bédéphile est de chercher l’édition Delcourt sur le marché de l’occasion.
Commence alors une quête qui me mènera de bouquinistes en sites de vente aux enchères en ligne dans le seul but de trouver LE livre. Je me rends vite compte que je ne suis pas le seul et tous les bouquinistes me conseillent gentiment d’abandonner si je ne veux pas me ruiner. Mais je ne désespère pas. Et trois ou quatre ans après, je finis par découvrir Watchmen édition Delcourt en vente sur eBay… En déplacement professionnel le jour de la clôture de l’enchère, je prépare toute une stratégie pour ne pas que le précieux ouvrage ne m’échappe… Seulement à quelques secondes de la fin de la vente, au moment précis où j’allais renchérir une dernière fois pour l’emporter, le réseau wi-fi de mon hôtel est tombé en panne… pour ne redémarrer qu’une ou deux minutes plus tard quand la vente était terminée. Sur le point de s’achever quelques secondes auparavant, ma quête échouait lamentablement à cause d’un problème technique ! J’étais vert de rage ! En plus le livre est parti pour un peu moins de 100 euros… Si peu par rapport à sa valeur réelle… £$%?# de wi-fi !
Quelques mois après, mon ami me rappelle « – Tu sais quoi ? Le jeune chaton de ma copine… » « – Oui… » lui répondis-je « …et alors ?« . « – Il a fait ses griffes sur mes BD… Il m’a massacré l’intégrale de Watchmen« . Décidément ce livre avait vraiment quelque chose de mystique.
Le plus grand « comic book » jamais écrit
Alors pourquoi en faire autant pour ce qui n’est jamais qu’un vulgaire comic book ? (me demanderez-vous). Il faut déjà voir que « Watchmen » est peut être le meilleur du genre qui n’est jamais été écrit. Il a collectionné les récompenses dès sa publication en faisant sortir ses auteurs d’un relatif anonymat. En 1988 Watchmen obtient le prix Hugo, décerné chaque année aux meilleurs récits de science-fiction ou de fantasy, remis pour la première fois à une œuvre de bande dessinée. L’année suivante c’est au Festival de la BD d’Angoulême que Alan Moore et Dave Gibbons sont distingués, avec le prix du meilleur album étranger. Enfin, en 2005 le Times Magazine le classe parmi les 100 meilleurs romans de langue Anglaise écris depuis 1923, là aussi un cas unique pour un livre de bandes dessinées.
A ceux qui en l’ont pas encore lu – qui ne donnerait pas cher pour re-découvrir Watchmen pour la première fois ? – il faut expliquer que Watchmen n’est pas un comic de superhéros classique. Il est en quelque sorte une auto-critique des histoires de superhéros. On y voit les faiblesses des héros sensés nous protéger et sauver le monde. Se peut-il que Superman se trompe ? Agit-il toujours pour le bonheur des citoyens ? Et s’il devenait mégalo ? Agit-il pour maintenir l’ordre ou sauvegarder l’ordre établi ? Le monde des superhéros a classiquement toujours été très manichéen… Watchmen est beaucoup plus complexe avec des personnages aux personnalités très travaillées. Il aborde intelligemment la limite de délégation de pouvoir à transmettre à ceux qui sont sensés nous protéger, en posant pose la question « Who watch the watchmen ? » – traduite en français par « Qui nous gardera de nos gardiens ?« . Ces thèmes font de Watchmen une œuvre incroyablement riche et éminemment politique dont on ne ressort pas indemne.
En choisissant de placer leur histoire en 1988 après une uchronie (les États-Unis ont gagné la guerre du Vietnam grâce à leurs superhéros), les auteurs choisissent un univers surprenant pour développer leur idée d’un monde contrôlé et assez abjecte, dans un atmosphère de guerre froide et de risque nucléaire permanent. A la manière de Georges Orwell dans 1984 – dont l’influence est manifeste – Watchmen nous met en garde et nous invite à surveiller l’évolution du monde.
La nouvelle édition 2012 proposée par Urban Comics dans la collection « DC Essentiels » reprend les traductions originales de Jean-Patrick Manchette (voir ci-contre).
Avec l’acquisition de cette dernière, une quête de près de 10 ans s’est achevée et l’ouvrage trône désormais en bonne place dans la ma bibliothèque !
Ping : Réédition de la BD culte « Watchmen » dans sa traduction originale | Robonat