Après Brian Cowen en Irlande au mois de Janvier, José Socrates au Portugal en Juin, George Papandréou en Grèce et Silvio Berlusconi en Italie ces dernières semaines, voilà que ce week-end la crise de la dette publique coûte sa tête à un nouveau dirigeant Européen en la personne de l’Espagnol José Luis Zapatero. Si le cas de chaque pays n’est pas identique, on ne peut s’empêcher de noter avec quelle similitude d’action les marchés on mis la pression sur les états pour s’assurer un renouvellement de gouvernement. Laissant le champs libre aux technocrates – issus des grandes banques et des institutions européennes – pour imposer aux peuples toujours plus de sacrifices, sans réelle approbation démocratique.
1/ Un déficit toujours croissant de démocratie au niveau Européen
De tous ces changements de gouvernement, les plus préoccupants sont ceux des deux pays aujourd’hui les plus exposés aux prédations des marchés, la Grèce et l’Italie.
En Grèce, George Papandréou a essayé ces dernières semaines de sauver son gouvernement en proposant un référendum pour faire valider au peuple le dernier plan de sauvetage négocié avec l’Europe, ce qui a provoqué la fureur des Européens. (Alors qu’il n’y a fondamentalement rien de scandaleux à consulter le peuple en démocratie…) Mais ce gigantesque « coup de bluff » – sans doute aussi destiné à mettre la pression sur la France et l’Allemagne – n’a pas fonctionné. Le revirement de certains députés socialistes Grecs a conduit à la chute du gouvernement Papandréou. La Grèce a alors organisé un gouvernement d’union nationale autour de la personnalité de Loukas Papadimos, ancien vice-président de la Banque Centrale Européenne (BCE), dont le profil de pur technocrate était de nature à mieux rassurer les marchés.
Ce nouveau gouvernement s’est donc formé sous la pression des créditeurs de la Grèce (c’est à dire le FMI, la Commission Européenne, la France et l’Allemagne) et sans que le peuple Grec ne puisse donner son avis. Résultat: quatre personnalités d’extrême droite entrent au gouvernement – ce qui n’était pas arrivé depuis 1974 et la dictature des Colonels. Avec six ministres seulement la Droite esquive joyeusement les responsabilités, préférant sans doute jouer la carte des prochaines élections. Ce qui fait que sur les 49 postes à pourvoir, 39 son tenus par des socialiste issus du précédent gouvernement Papandréou… On prend donc les mêmes et on recommence… à un détaille près: on a exclu celui qui se rebellait.
En ne tenant pas compte de la représentativité du peuple et en étant décidé dans le dos des citoyens (essentiellement depuis les diplomaties étrangères), ce gouvernement d’union nationale, que l’on présente pourtant comme une solution de compromis, est en vérité une grave entorse à la démocratie. Il va devoir prendre des décisions parmi les plus importantes de l’histoire de la Grèce, alors qu’il n’a pas de réelle légitimité. La conclusion à en tirer est simple: en deux ans la Grèce a perdu toute sa souveraineté.
En Italie, la situation n’est guère plus enthousiasmante. En dépit du fait que Silvio Berlusconi se soit plié sans discuter à toutes les exigences de ses créanciers internationaux, il a été poussé à la démission début Novembre. Comme en Grèce un gouvernement d’union nationale a été formé. Et comme pour la Grèce sa composition s’est décidé dans le dos des citoyens, dans les couloirs de Rome et de Bruxelles. Réunis autour du président du conseil Mario Monti, le nouveau gouvernement Italien a maintenant pour charge de mettre en place un nouveau plan de rigueur pour rassurer la finance. Affilié à aucun parti politique, Mario Monti est comme Papadimos un pur technocrate de Bruxelles puisqu’il était il y a peu commissaire Européen. C’est aussi un ancien consultant pour Goldman Sachs. Un de plus ! Après Mario Draghi qui a succédé à Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, alors qu’il était impliqué dans le maquillage des comptes de la Grèce pour faciliter son entrée dans la zone Euro… Autant de profils qui « rassurent » les marchés financiers. Mais beaucoup moins les citoyens. Cette prise de pouvoir progressive des « technocrates » est tellement flagrante que Rue89 se demande (non sans ironie) quand Jean-Claude Trichet deviendra Premier Ministre en France !
Ce n’est pas la première fois que le manque de démocratie des instances Européennes est pointé du doigt, en particulier au niveau de la Commission. Mais il semble qu’à la faveur de la crise de la dette publique, nous ayons franchit un nouveau pas dans la marche vers l’absence de contrôle démocratique sur les technocrates de Bruxelles à la solde des marchés financiers. Et le pire est sans doute à venir quand on parle de plus en plus de faire valider au préalable les budgets de chaque état de la Zone Euro par la Commission Européenne. Une commission dont les membres sont nommés (et non pas élus) et qui n’ont aucun comptes à rendre aux citoyens…
2/ Le remède pire que le mal
Ce qu’il y a de plus étonnant pour le grand public, c’est que personne ne semble relever qu’en dépit des plans de sauvetage et de tous les plans d’austérités déployés dans toute l’Europe, la situation empire de mois en mois. La sagesse populaire n’aurait aucun mal à en déduire que nous sommes en train d’achever nos économies malades avec nos remèdes d’apprentis sorciers.
Pour se convaincre que nous sommes sur la mauvaise pente il n’y a qu’a regarder l’explosion du « spread » entre les prochains pays sur la liste, comme l’Espagne et la France, et l’Allemagne. L’écart entre le taux des obligations à 10 ans du pays de référence (l’Allemagne) et les autres pays augmente inexorablement. Cette semaine, chaque jour les records étaient battus, atteignant 2 points de « spread » pour la France et 6,5 point pour l’Espagne. Ce qui limite encore plus la marge de manœuvre des pays en question tout en leur mettant une pression de moins en moins tenable.
Mais pourquoi diable la France, qui est toujours noté AAA – soit la meilleure note possible sur la qualité de sa dette – devrait-elle payer 4,5% d’intérêt, quand l’Allemagne elle emprunte à 2,5% ? « Les marchés jouent en partie le fait que le AAA de la France va disparaître, cela nécessite donc une prime plus importante […]« nous explique Le Monde. Nous nous retrouvons donc dans la logique auto-réalisatrice des marchés que nous avions déjà dénoncé au mois de Juillet dans notre article sur la crise Grecque: un pays semble ne pas être en mesure de payer sa dette, sa note est dégradée (ou la dégradation de sa note anticipée), il emprunte donc à des taux plus important, et se retrouve au final réellement en difficulté de paiement de fait de cette augmentation de taux. C’est un cercle vicieux !
En vérité la France a aujourd’hui déjà perdu son triple A. En anticipant la dégradation de sa note les marchés contribuent à la dégradation effective. Cette situation ne sera pas tenable longtemps. On est dans le domaine de l’attaque spéculative sur la dette Française. Nicolas Sarkozy déclarait il y a peu « Si la France perd son triple A, je suis mort » (Mediapart). Le président a donc fait du maintien de la note Française un objectif majeur des derniers mois de son mandat, et l’anticipation de la rétrogradation Française – matérialisée par l’explosion du « spread » – ne fait bien évidemment pas ses affaires. Si la France est rétrogradée (ou tout comme) avec un gouvernement de droite, satisfaisant les obligations d’austérité demandées par les marchés, nous n’osons imaginer ce qu’il arrivera si François Hollande est élu en 2012 ! Le pays risque de subir le même genre d’attaque des marchés que lors de l’élection de François Mitterrand en 1981 ou de Roosevelt aux États-Unis en 1932. Le chantage des marchés financiers est donc simple: toujours plus d’austérité ou la mort. Et c’est ce que nos dirigeants font en Europe depuis deux ans…
Ces plans de rigueurs tuent pourtant incontestablement notre croissance et sans croissance il est impossible de trouver les fonds pour rembourser notre dette. C’est en cela que le remède est pire que le mal. Il y a pourtant deux solutions pour régler un problème d’endettement: diminuer les dépenses (c’est à dire l’austérité) ou augmenter les recettes. Étonnamment il n’y a pas grand monde aujourd’hui pour envisager cette deuxième solution. Et pourtant… cela fait 15 ans que les recettes des états Européens diminuent par l’intermédiaire des baisses d’impôts, essentiellement à destination des plus riches et des grandes entreprises. En France par exemple c’est plus de 100 milliards d’Euro de manque à gagner pour l’État ces 10 dernières années (de 2000 à 2009) à cause des allègements de charge successivement consentis (source: rapport Carrez Juin 2010). La solution pourrait donc être relativement simple: réglons la dette par une augmentation des recettes en revenant sur les avantages fiscaux accordés ces dernières années aux citoyens les plus fortunés et aux grandes entreprises. Une idée pour un candidat alternatif en 2012 ?
Les peuples Européens doivent donc impérativement se réapproprier le pouvoir confisqué jusqu’à présent par la finance internationale. La monnaie unique nécessite sans doute plus de fédéralisme, mais l’Europe doit au préalable démocratiser ses institutions, à commencer par la Commission Européenne. Le cas échéant nous nous exposons à deux risques majeurs:
- Les solutions imposées par les marchés ne servent que leur seul intérêt. Nous le voyons bien avec les plan de rigueurs, ils ne font que ruiner nos espoirs de croissance, augmenter le problème de la dette, et rendre les états encore plus dépendant d’eux.
- Si les décisions majeures sont prises sans l’accord des citoyens Européens, nous risquons une explosion du sentiment anti-Européen, qui n’a cessé ne progresser dans l’opinion depuis le vote du « non » à la Constitution Européenne en 2005.
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