Le responsable de Wikileaks, recherché par la police Suédoise pour une affaire de mœurs, s’est rendu hier à la police Britannique. En attendant les délibérés de la justice, c’est l’occasion de revenir sur un acharnement politico-médiatique pour discréditer un personnage devenu beaucoup trop gênant.
Le début des accusations au lendemain des premières publications
Wikileaks – que l’on pourrait traduire par « fuites partagées » – est ce site Web qui a publié cette année pas loin de 100 000 documents confidentiels de l’armée Américaine sur la guerre en Afghanistan et en Irak. Dernièrement le site, en partenariat avec de grands journaux internationaux (Washington Post, Le Monde, El Pais…) a renouvellé son opération transparence avec des archives des ambassades Américaines.
Julian Assange est l’un des responsables de cette organisation. Australien d’origine, expert en informatique et en « hacking » (technique consistant à infiltrer les systèmes informatiques confidentiels), il est le responsable du site Web et aussi porte-parole de l’organisation. Sa participation active dans les récentes révélations de Wikileaks lui ont valu de nombreux prix internationaux dont l’Amnesty International Media Award 2009, remis pour la diffusion d’informations sur des assassinats en Irak, ou l’Index on Censorship Award 2008, remis par The Economist. Régulièrement invité par les médias, Assange défend une « théorie de la transparence » dont devraient faire preuve selon lui nos gouvernements.
Depuis le mois d’Août, Julian Assange est recherché en Suède pour une affaire de mœurs. Ces accusations paraissent néanmoins suspectes aux yeux des partisans de Wikileaks. Notamment du fait qu’elles interviennent dans les jours suivants l’annonce d’une publication de nouveaux documents compromettants pour l’armée Américaine. Rappel de la chronologie des faits :
- 15 août 2010 : Wikileaks fait savoir que le site Web va publier 15 000 nouveaux documents confidentiels de l’armée Américaine. Ce qui déclenche la fureur du Pentagone qui croyait en avoir fini avec la première vague de révélations.
- 21 août 2010 : Julian Assange, responsable et porte-parole de Wikileaks, est accusé de « viol » par la justice Suédoise (voir le chef d’accusation complet ci-après)
En août donc, Julian Assange est à Stockholm pour participer à un séminaire organisé par le Parti social-démocrate suédois. A cet occasion il a une relation sexuelle avec au moins deux femmes, qui portent ensuite plainte contre lui.
Le fait qu’Assange soit devenu l’homme à abattre au moment de ses accusations du mois d’Août fait craindre un piège à de nombreux observateurs. En effet, il n’existe pas d’accords d’extradition entre le Royaume Uni et les Etats-Unis, en revanche il en existe entre la Suède et les USA. Par un jeu de domino Assange pourrait ainsi être extradé vers la Suède pour cette affaire de mœurs, et ensuite vers les Etats-Unis pour une affaire d’espionnage sur laquelle sont en train de travailler les juristes de l’administration Américaine. La CIA n’en serait pas à sa première entourloupe du genre. Une théorie du complot plutôt confirmée par la lecture des chefs d’accusation.
« Viol », « agressions sexuelles » et « sexe par surprise »
A partir du mois d’Août, la nouvelle de l’avis de recherche du responsable de Wikileaks, se répand très vite dans les médias du monde entier qui relayent son « accusation de viol » par la justice Suédoise. Des médias sans doutes bien contents de « reprendre la main » face à cet arrogant causeur de troubles dans le monde de l’information qui n’en fini plus de brouiller les cartes (voir à ce sujet l’article de Rue89).
On parle alors en boucle de « viol » ou d »agression sexuelle »… Alors qu’il s’agit en réalité d’une affaire de mœurs dans la plupart des codes pénaux internationaux. Comme l’explique Henry Labayle, professeur de droit interrogé par Le Monde « D’après l’acte d’accusation lu au tribunal, M. Assange se voit reprocher deux viols [mais] au sens de la loi suédoise« . Le code pénal Suédois qualifiant de « viol » le « sexe par surprise », le réel chef d’accusation retenu contre Assange.
Cette accusation de « sexe par surprise » (détaillée ici par Blandine Grosjean de Rue89) est retenue parce qu’Assange n’aurait pas accédé au souhait de ses partenaires d’utiliser un préservatif lors du rapport sexuel. Son avocat, Me Mark Stephens, précise que c’est une « qualification suédoise punie par une amende de 5 000 couronnes, soit environ 540 euros« .
On ne va pas présager de la décision de justice Suédoise, mais contrairement à ce que répètent les médias à qui mieux mieux, – rien que par la peine encourue – il ne s’agit pas d’une accusation de « viol », au sens Français, Britannique ou Américain du terme.
Seulement dans l’imaginaire populaire, le violeur est un salaud. Il mérite la pire des répressions. C’est donc une façon de discréditer l’action de Wikileaks. Il serait plus honnête pour les médias d’évoquer l’accusation d’Assange en utilisant le référentiel national, car pour un Français ou un Américain, un viol, ce n’est pas refuser de mettre un préservatif lors d’un rapport avec une femme consentante. Et on ne s’en tire pas (et heureusement !) avec 600 euros d’amende.
Laissons donc faire la justice. Et prenons surtout garde à ce que cette affaire n’empêche pas Wikileaks de révéler ses informations. Les problèmes – privés – d’un des responsables avec la justice relèvent d’un autre débat. On pourra néanmoins toujours s’interroger sur le zèle de police Suédoise qui délivre un mandat d’arrêt international pour une affaire de ce type.
Le rôle majeur de Julian Assange dans la révolution de l’information qu’a constitué cette année Wikileaks, l’a sans doute rendu un peu mégalomane, mais il résume lui même assez bien la situation :
« On ne peut pas mettre sur le même plan l’énormité des informations que je révèle, concernant la mort de 109 000 civils en Irak, avec les accusations triviales portées contre moi ». (Julian Assange lors d’un interview donné à CNN)
Site Web de Wikileaks :
21 réponses à Julian Assange, ennemi public numéro un