Le sujet a brièvement été évoqué par les médias lors du sauvetage des mineurs chiliens il y a un an: les conditions de vie des mineurs d’Amérique du Sud sont absolument terrifiantes. De plus l’augmentation des cours mondiaux des matières premières incite de nombreux travailleurs pauvres à retourner dans les mines, bien que les conditions de travail n’aient guère changées depuis l’époque de la colonisation Espagnole. Nous sommes allé sur place à Potosi, en Bolivie, dans la plus grande mine d’argent du monde. Petite plongée en deux volets dans les entrailles du « Cerro Rico », la montagne maudite.
1.1/ L’époque coloniale
L’histoire de Potosi commence en 1544, quand l’Inca Diego Huallpa, accompagné par quatre soldats espagnols, découvrit par hasard un filon d’argent dans le Cerro Rico (« la montagne riche »). Jusqu’à cette date le mont était un huaca, c’est à dire un site d’adoration des divinités.
La nouvelle se répandit vite, les Espagnols s’approprièrent rapidement le Cerro Rico et commencèrent à exploiter la montagne à partir de 1545. Des milliers d’esclaves Indiens furent amenés pour creuser dans les mines. Mais ce travail était tellement meurtrier (accidents, conditions, de travail et d’hygiène, silicoses…) que les Espagnols firent aussi venir des esclaves Africains par bateaux entiers pour palier à la pénurie de main d’œuvre. La même année la ville de Potosi fut fondée au pied de la montagne pour accueillir tout ce petit monde. Localisée à plus de 4000m d’altitude, Potosi ne doit donc son existence qu’aux ressources contenues dans les sous-sols de ses environs.
Quelques décennies plus tard, le vice-roi de Toledo promulgue la « Ley de la Mita » de 1572 pour augmenter le rendement dans les mines. Cette loi oblige tous les esclaves de plus de 18 ans à travailler par roulement de 12 heures, sous terre pendant quatre mois. Les mineurs travaillent, mangent et dorment donc sans voir la lumière du jour pendant des mois. On raconte qu’à leur sortie, il était nécessaire de leur bander les yeux pour ne pas que la lumière du soleil les rende aveugles…
Dans ces conditions atroces, les travailleurs ne tiennent pas longtemps et leur taux de mortalité est extrêmement élevé. Une récente étude a estimé entre 7 et 8 millions de morts parmi les esclaves Indiens et Africains travaillant dans les mines de Potosi sur l’ensemble de la période coloniale (de 1545 à 1825, date d’indépendance de la Bolivie). On raconte que la quantité d’argent extraite des mines suffirait à construire un pont au-dessus de l’Atlantique pour relier Potosì à la péninsule Ibérique, mais les ossements de mineurs morts dans des accidents y suffiraient également. Toujours est-il qu’au XVIe siècle Potosi livre 240 tonnes d’argent en moyenne par an à la couronne Espagnole, ce qui en fait de très loin la plus grande mines d’argent du monde, et la plus rentable. A cette époque, Potosi obtient même du roi d’Espagne le droit de frapper directement la monnaie, et l’on construit en centre ville une « casa de la moneta » équipée de machines modernes expédiées d’Europe. Au XVIIe siècle, l’argent fait de Potosi l’une des plus grande ville du monde. Avec plus de 160 000 habitants elle a une taille comparable à Paris.
1.2/ Les conditions de travail actuelles
Il y a encore de nos jours environ 15 000 mineurs à Potosi et même s’ils représentent aujourd’hui une part moins importante de la population (environ 6%) qu’à l’époque coloniale, ils gardent une importance hautement symbolique pour les habitants. Chaque « potosino » a au moins un ancêtre qui a travaillé dans les mines, et les entrailles du Cerro Rico restent donc profondément ancré dans la mémoire collective.
Les dérivés de cyanure ont aujourd’hui remplacé le mercure autrefois utilisé pour séparer le minerai d’argent des roches extraites de la mine. De même les torches de jadis ont été troquées pour des lampes acétylènes montées sur casque, ce qui facilite un peu le quotidien des mineurs qui peuvent désormais rentrer dormir chez eux sans attendre 4 mois… Mais globalement les conditions de travail n’ont guère changées depuis l’époque de la colonisation espagnole. Les outils sont toujours archaïques et l’on creuse toujours à la dynamite sans dispositif de sécurité. Les tunnels datent parfois de plusieurs siècles et l’on ne dispose pas de cartes précises des galeries ce qui réserve régulièrement des surprises. Les températures dans les mines sont toujours aussi difficilement supportables: si les 60 degrés sont régulièrement atteints l’été au cœur du Cerro Rico, d’autres galeries sont couvertes de stalactites de glaces qui semblent éternelles. Éventrée de toute part la montagne se montre aussi bien moins généreuse qu’auparavant: quand au XVIe siècle on obtenait 200 kg d’argent par tonne extraite des mines, on doit aujourd’hui se contenter d’un petit kilo…
Le principal changement apporté par notre époque réside dans le fait que la plupart des mineurs travaillent aujourd’hui pour leur compte. Réunis en coopératives ouvrières (comme la fameuse « Cooperativa Unida »), ils mutualisent le matériel, se répartissent les secteurs collectivement et négocient en groupe la revente. Dans ces structures les « mineros » nous confiaient qu’ils peuvent espérer gagner 1000 bolivianos (Bs) par semaine quand le salaire moyen bolivien tourne à 1500 Bs par mois (NDLR: il faut environ 10 Bs pour faire 1€). Les horaires sont définis par les mineurs et ils travaillent en moyenne 8 heure par jour. Enfin, pour les quelques mineurs qui continuent de travailler dans le privé, le salaire est fixe mais nettement inférieur (1500 à 2000 Bs par mois).
La plongée dans les galeries se révèle incroyablement impressionnante pour le visiteur. On commence debout, avant de se courber, pour se mettre ensuite à quatre-pattes, et terminer en rampant pour accéder aux derniers tunnels dans lesquels les mineurs travaillent. Contrairement aux mines de charbon creusées à la pioche, les mines d’argents le sont à la dynamite ce qui les rend complètement irrégulières, avec leurs puits, leurs crevasses et leurs barres rocheuses plus dures. Les parcourir relève de la spéléologie. D’autant que l’air devient vite étouffant et la température oppressante. A ce stade, pas besoin de rester plus d’une heure pour comprendre à quel point les conditions de travail sont terribles. Et l’effroi ressenti lors des explosions de dynamite (pourtant à une bonne centaine de mètres) termine de convaincre les plus sceptiques. Enfin, les chiffres parlent d’eux mêmes: on déplore encore aujourd’hui 30 à 40 morts par an dans les mines de Potosi. Plus de doute possible nous avons bien trouvé l’Enfer…
La seconde partie de cet article, qui détaille de plus près l’environnement des mineurs avec leur croyances et religions ainsi que l’avenir des mines à Potosi, sera publiée la semaine prochaine.
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