Bolivie: Dans l’enfer des mines d’argent de Potosi (2/2)

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Le sujet a brièvement été évoqué par les médias lors du sauvetage des mineurs chiliens il y a un an: les conditions de vie des mineurs d’Amérique du Sud sont absolument terrifiantes. De plus l’augmentation des cours mondiaux des matières premières incite de nombreux travailleurs pauvres de retourner dans les mines, bien que les conditions de travail n’aient guère changées depuis l’époque de la colonisation Espagnole. Nous sommes allé sur place à Potosi, en Bolivie, dans la plus grande mine d’argent du monde. Petite plongée en deux volets dans les entrailles du « Cerro Rico », la montagne maudite.

NB: la première partie de cet article consacrée à la période coloniale et aux conditions de travail actuelles dans les mines a été publiée la semaine dernière.

2.1/ Superstition et religion

Mines d'argent de Potosi, Bolivie, marché des mineurs

Le marché des mineurs. Au premier plan des fœtus de lama séchés, vendus aux superstitieux (photo @PandoraVox)

On raconte que les Incas avaient connaissance de l’existence de l’argent bien avant sa découverte par l’Inca Diego Huallpa (voir première partie). Mais une légende locale affirmait que c’était un métal maudit qui n’apporterait que le malheur, et qu’il ne fallait pas aller le chercher en profondeur. Une malédiction qui a été malheureusement confirmée par l’Histoire et ses 8 millions de morts de l’époque coloniale. La Bolivie est truffée de légendes et de superstitions en tout genre. Bien évidemment Potosi et sa région n’échappent pas à la règle. Le fœtus de lama est ainsi considéré comme un porte-bonheur. Par exemple, l’enterrer dans le sous-sol d’une maison assurera le bonheur de ses habitants, on peut aussi le mettre sur l’étagère derrière le comptoir d’un magasin pour demander sa prospérité. Une petite poupée fétiche peut aussi aider un couple à retrouver la fécondité etc…

A Potosi, la mine et ses tristes aléas ont entrainé la construction de plus de 400 églises durant l’époque coloniale. Une façon de s’attirer aussi les bonnes grâces du Dieu chrétien. De même la vierge de la basilique de Copacabana sur les rives du lac Titicaca est extrêmement populaire (NDLR: la plage de Rio de Janeiro a d’ailleurs été nommée ainsi en hommage à la vierge de la cité bolivienne). On vient de toutes les Andes, pour prier la vierge et faire bénir voitures et camions neufs pour solliciter sa bienveillance.

Mines d'argent de Potosi, Bolivie, sacrifice d'un lama

Sacrifice et dépeçage d'un lama à l'entrée de la mine (photo @PandoraVox)

La religion catholique est donc ultra-dominante en Bolivie, mais les Amérindiens (qui composent 90% de la population) ont aussi conservé la plupart de leurs anciennes pratiques religieuses. Le catholicisme a été adapté et les anciennes divinités continuent d’être importantes pour les Boliviens. Ainsi sont fait de nombreux rituels en l’honneur de Pachamama, déesse-Terre de l’époque de Tiwanaku (NDLR: civilisation pré-Incas qui trouve son origine 500 ans avant J.C.). On pratique alors les sacrifices de lamas et les offrandes à la Terre de feuilles de coca et d’alcool. A Potosi on vénère tellement Pachamama que l’on interdit aux femmes de descendre dans les mines, elle pourrait en être jalouse et ce serait un très mauvais présage !

Concernant les sacrifices humains, ils ont été interdits par le colonisateur et ne sont donc plus pratiqués depuis le XVIe siècle. Cependant les Boliviens pratiquent toujours les Tinkus dans l’Alti Plano (le plateau Andin). Il s’agit de combats ritualisés organisés dans le cadre de cérémonies festives, qui voient les villageois ingurgiter d’énormes quantités d’alcool, de coca et de chicha avant de se livrer à de violents duels. Il arrive que l’acharnement rituel entraine la mort de certains protagonistes. Leur mort n’est cependant pas déplorée, parce que le sang des combattants est considéré comme une offrande pour la Pachamama, la terre mère qui réclame des hommes et se nourrie de leur sang. Elle leur accordera en retour de bonnes récoltes, la fécondité des épouses et l’abondance des troupeaux de lamas.

Une autre divinité pré-inca très importante pour les mineurs est Tio, le dieu des richesses souterraines. Il est considéré comme maléfique et inspire la crainte et la méfiance, en plus d’être réputé très exigeant. Les conquistadors ont longtemps tenté de persuader les indigènes que Tio était en fait le « diablo » de la religion catholique et qu’en conséquence il fallait en arrêter le culte. Une simplification extrême qui relève surtout de l’ignorance, mais qui n’a convaincu personne: aux détours des galeries de la mine on peut rencontrer de nombreuses représentations de Tio – garnies d’offrandes d’alcool et de coca – toutes plus effrayantes les unes que les autres. Dans l’obscurité des entrailles de la terre, ce genre de découverte fait son petit effet…

2.2/ Le retour dans les mines

Mines d'argent de Potosi, Bolivie, un mineur prépare la dynamite

Un jeune mineur prépare la dynamite pour faire exploser la paroi (photo @Pandora Vox)

Contrairement à ce que l’on pourrait croire le nombre de mineurs à Potosi est en augmentation ces 15 dernières années, après n’avoir cessé de baisser lors du siècle précédent. La faute à l’augmentation du prix des matières premières dans les cours mondiaux dopés par les marchés émergents. Un kilogramme d’argent s’achète dorénavant à l’internationale dans les 40 dollars US, un prix qui garantie un salaire plutôt élevé pour la Bolivie (autour de 4000 bolivianos par mois, voir à ce sujet la première partie). Un mineur gagne ainsi plus qu’un professeur d’université et peut gagner autant qu’un ingénieur… On assiste donc à un retour des populations qui avaient quitté l’altitude de Potosi pour aller tenter leur chance dans la vallée à Santa Cruz ou à Sucre. Elles sont de nouveau prêtes à braver les terribles conditions de travail des mines qui redeviennent rentables.

Et tant pis pour le travail de bagnard que cela suppose, peu compatible avec l’idée que l’on se fait de la vie au XXIe siècle… Daniel, notre guide dans la mine, nous a ainsi raconté le calvaire de son père qui a terminé sa carrière de mineur avec un gros problème de souffle, qui l’a obligé a quitté sa famille et l’altitude de Potosi pour finir ses jours seul dans la vallée. Il est mort d’étouffement à 53 ans… « Tous ces gens qui reviennent de Santa Cruz ne se doutent pas de ce qui les attends. » dit-il fataliste. « Ils ont oublié ce que c’était de descendre dans le trou tous les jours. De mourir trop jeune en crachant ses poumons. Il sont tout simplement poussés par la misère. En fait ils n’ont pas vraiment le choix« .

Silicosis HUANKA Potosi 1970

Peinture représentant le drame de Potosi, le Cerro Rico perforé par la silicose avec au premier plan l'ombre du dieu Tio (Huanka, "Silicosis", 1970)

Mais le plus grand danger de ce retour aux mines est ailleurs. En effet, on estime que d’ici 20 ou 30 ans la montagne s’écroulera. En raison de son exploitation continue depuis plusieurs siècles, le Cerro Rico qui comporte plus de 600 puits et des milliers de kilomètres de galeries non répertoriés, est soumis à de forts risques d’effondrement, comme l’explique une récente étude du gouvernement Bolivien. L’intensification du travail ne fait qu’accélérer cette échéance sans que l’on sache non plus la déterminer avec précision…

L’exploitation des mines de Potosi, commencée il y a presque 500 ans n’est donc pas près de s’arrêter, en dépit de ses conditions de travail absolument terribles et indignes du XXIe siècle, et malgré les risques imminents dues à la surexploitation du site. Il serait peut être temps que le gouvernement d’Evo Morales, premier président indigène d’Amérique Latine, prenne la mesure de de problème. Lui qui n’avait pas hésité à son élection en 2005 à nationaliser les ressources pétrolières, gazières et minières. Car c’est aujourd’hui encore 15 000 personnes qui descendent quotidiennement dans l’enfer des mines de Potosi en espérant ne pas être dévorées par le dieu Tio…

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