Dans quelques jours nous connaitrons le nom du prochain président des États-Unis. Barack Obama, malgré des talents d’orateurs toujours aussi saisissants, peine à soulever le même enthousiasme qui lui avait assuré le triomphe en 2008, accablé qu’il est par son maigre bilan. De son coté Mitt Romney a du user de tout le « pragmatisme » qu’on lui attribue pour renier une partie de ses idées mises en œuvre comme gouverneur du Massachusetts et ainsi séduire l’aile droite du parti Républicain… C’est entre ces deux personnalités que les Américains devront choisir mardi prochain, avec un mécanisme d’élection toujours aussi archaïque et inéquitable.
Cette article est la suite de celui publié la semaine dernière sur la personnalité de Barack Obama.
3 – Le grand écart de Mitt Romney
Romney est né d’une riche famille d’hommes d’affaires du Michigan où il passe son enfance plutôt dorée. Après avoir été plusieurs fois gouverneur du Michigan son père a été candidat sans succès à la primaire républicaine de 1968. A 19 ans Mitt Romney part passer 2 ans et demi en France en tant que missionnaire mormon. A son retour, après avoir obtenu un MBA et un diplôme de droit à Harvard il se lance dans le conseil en stratégie d’entreprise. Brillant et ambitieux, après des succès prometteurs chez Bain & Co, il fonde la société d’investissement Bain Capital qui est par la suite un immense succès. Réputé pragmatique – pour ne pas dire sans état d’âme – le golden boy devient alors un richissime homme d’affaire.
Après un premier échec à devenir gouverneur du Massachusetts face au démocrate Ted Kennedy en 1994, Romney reprend en main avec succès la gestion du comité d’organisation de JO d’hiver de Salt Lake City, alors en proie à de grandes difficultés financières. Cela relance sa carrière politique et lui permet d’être élu gouverneur du Massachusetts en 2002.
Aussi étonnant que cela puisse paraître aujourd’hui, au regard de sa campagne des primaires républicaines très droitière, il passe alors pour un modéré. Bien que se prononçant à titre personnel contre l’avortement, il déclare par exemple qu’il n’est pas question pour lui de remettre en cause ce droit. Sa grande œuvre en tant que gouverneur est d’avoir mis en place le premier système de soins de santé universelle des États-Unis dans le Massachusetts. Son système offre une couverture quasi-universelle aux résidents de l’État sans coûter plus cher au contribuable. Il gagne ainsi l’image d’un réformateur pragmatique. L’ironie de l’histoire est que Barack Obama appellera à ses cotés, au début de son mandat de président, les mêmes conseillers que Romney pour ses tentatives de réforme de la santé au plan national, mais sans parvenir à faire passer son projet initial (voir à ce sujet la première partie de cet article).
L’adoption de ce système de santé au Massachusetts est le plus gros succès de Romney en politique. Mais Mitt le pragmatique a su complétement l’occulter cette année pour remporter les primaires républicaines. Le parti ayant tout fait pour faire capoter le projet d’Obama au plan fédéral ne pouvaient décemment pas choisir un candidat pro système de protection universelle.
C’est l’une des multiples contradictions de Mitt Romney: ses admirateurs verront en lui un pragmatique efficace, ses détracteurs diront qu’il est sans idéologie et qu’il se considère comme un produit qui doit s’adapter aux acheteurs potentiels…
4 – Une élection profondément inégalitaire
Les candidats des grands partis Américains se verront départagés au terme de l’élection présidentielle qui se déroulera mardi 6 Novembre. Ce mécanisme d’élection, hérité de l’époque des pères fondateurs, ne cessera jamais de nous étonner de l’autre coté de l’Atlantique.
Comme le résume Rue89 les électeurs Américains votent pour leur candidat préféré mais ils ne l’élisent pas directement. Il y a bien inscrit « Obama » ou « Romney » sur leur bulletin de vote, mais ces voix servent à désigner un certains nombre d’hommes de paille par état (appelés « grands électeurs ») qui à leur tour voteront pour le futur président. La plupart des états ont choisis de donner tous leurs grands électeurs au candidat arrivé en tête des suffrages (« the winner takes all »), seuls le Maine et le Nebraska répartissent leurs grands électeurs à la proportionnelle. Ce système de grands électeurs garantie un « effet de levier » qui change les règles du jeu de l’élection: si vous avez voté Républicain dans un état à 60% démocrate, votre voix ne « pèse » rien dans le vote final des grands électeurs (sauf si vous habitez dans le Nebraska ou le Maine).
Le nombre de grands électeurs attribué à chaque état résulte aussi d’une combinaison de facteurs plus au moins opaques (surface, population, importance historique… ), qui sont assez inéquitables. Par exemple :
- avec 37,2 millions d’habitants, le plus grand Etat, la Californie, désigne 55 grands électeurs, soit un pour 676 000 habitants
- avec 530 000 habitants, le plus petit Etat, le Wyoming, a droit à 3 grands électeurs, soit un pour 176 000 personnes
Qui imaginerait qu’un électeurs de Bretagne puisse mettre 4 bulletins dans l’urne quand un autre de Bourgogne ne puisse en mettre qu’un seul ?
Enfin, ce système de grands électeurs donne le pouvoir de désignation des présidents à une minorité d’états tangents. En effet, qu’un état soit historiquement acquis à l’un ou l’autre des partis et il n’a plus aucun intérêt pour le candidats. Gagner avec 55% ou 75% des suffrages procure le même résultat. La campagne se concentre donc sur une petite dizaine d’états susceptibles de basculer d’un coté ou de l’autre (swing states). Les candidats se déplacent donc et donnent meeting quasi exclusivement dans ces états clés, où sont aussi concentrés tous les spots publicitaires. Comme le montre cette carte des dépenses publicitaires par comté établie par le Washinton Post, quand on a dépensé 1810$ pour deux malheureux spots à Sioux Falls dans le Dakota du Sud, on a dépensé 47 millions de $ pour près de 50 000 spots à Denver (Colorado)… Pas fous les électeurs qui ont plusieurs lieux de résidence, comme c’est le cas de nombreux étudiants, choisissent de s’inscrire sur les liste électorales de l’état dans lequel leur voix « pèsera le plus… »
Ce système archaïque permet parfois d’arriver à des aberrations: un candidat peut remporter le vote populaire en obtenant au plan national une majorité de voix, mais ne pas être élus par les grands électeurs. Ce fut le cas de Al Gore en 2000 candidat malheureux face à George W. Bush.
La dernière perversion en date de ce système électoral est l’autorisation en 2010 des super PAC par la Cour Suprême. Ces comités d’action politique, qui ont pour but d’aider ou au contraire de gêner un candidat ou un élu, ont désormais un plafond de don illimité. Ils permettent de financer, indépendamment des candidats et avec des fonds quasi-illimités, des campagnes de dénigrement à très grande échelle. La démocratie Américaine ne sort pas grandie de cette dernière innovation…
Alors qui de Barack Obama le charismatique, ou de Mitt Romney le pragmatique remportera la mise ? Réponse mercredi matin pour un résultat définitif sous le coup des 4 heures du matin.
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