Manuel Valls a affolé le monde politique et les médias avec ses récents propos sur les 35 heures (invité sur BFM-TV : « le débat doit avoir lieu« ). Mais les 35H font aujourd’hui figure de moulins à vent et le député socialiste de Don Quichotte, tant la réforme phare de Martine Aubry a été « détricotée » depuis 2000. Autopsie d’un débat qui n’a plus lieu d’être.
En 2004, « la politique pour l’emploi la plus efficace de la décennie«
Les 35 heures ont été mises en place par le gouvernement Jospin par l’intermédiaire de deux lois de 1998 et de 2000. Il s’agissait de définir le temps de travail hebdomadaire à 35 heures contre 39 précédemment. Portée par Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi, cette réforme emblématique n’a jamais cessé d’alimenter la polémique ces dix dernières années.
Inefficaces et coûteuses pour les uns, génératrices d’emploi et améliorant le niveau de vie pour les autres ; dans tous les cas les 35 heures se sont progressivement installées dans la vie des Français, avec notamment les journées de RTT auxquelles elles donnent droit.
Dans son numéro de Novembre 2003 (#219) Alternatives économiques estimait que les 35 heures avaient permis la création de 350 000 emplois. Ce qui en faisait « la politique pour l’emploi la plus efficace de la décennie« .
Des chiffres confirmés en 2004 par une étude de l’INSEE sur les effets de la RTT sur l’emploi :
« En cherchant un équilibre entre baisse de la durée du travail, modération salariale, gains de productivité et aide de l’État, le processus de RTT a conduit, selon les estimations, à un rapide enrichissement de la croissance en emplois de près de 350 000 postes sur la période 1998-2002, et ceci, sans déséquilibre financier apparent pour les entreprises. »
Comme l’expliquait à l’époque Alter Eco, le coût salarial pour les entreprises avait en effet été limité : lors des négociations elles avaient négocié des aides publiques et réductions de charges sociales, une plus grande flexibilité du travail, une suppression de fait des heures supplémentaires grâce à l’annualisation du temps de travail et un gel plus ou moins long des salaires.
Puis vint le « détricotage des 35 heures » (2004-2007)
A partir du moment ou la droite récupère le pouvoir en 2002, une série de lois vient assouplir la mesure phare du gouvernement de gauche précédent. L’ambition affichée est véritablement de « déverrouiller les 35 heures » et de vider la mesure de sa substance (voir notamment cet article du Post : la France n’a pas attendu Manuel Valls) :
- La loi Fillon de janvier 2003 permet de réduire, par accord, jusqu’à 10 % la majoration des heures supplémentaires
- La loi Ollier-Novelli de mars 2005 facilite le stockage de RTT et de congés sur un CET
- La loi en faveur des PME d’août 2005 étend aux non-cadres le recours au forfait jours
- La loi TEPA d’août 2007 incite fiscalement à recourir aux heures supplémentaires
- Enfin la loi du 20 août 2008 permet aux entreprises de revenir sur les 35 heures en fixant la durée du travail par accord collectif.
Sur cette dernière loi de 2008, Derek Perrotte des Echos note que très peu d’entreprises ont franchi le pas à ce jour ce qui lui fait dire que « les entreprises ne sont pas pressées de revenir sur les 35 heures« .
De ces cinq lois c’est incontestablement la loi TEPA (Travail Emploi et Pouvoir d’Achat) de 2007 qui porte le coup le plus fatal aux 35 heures. En permettant la défiscalisation des heures supplémentaires elle incite les entreprises comme les salariés à revenir à un temps de travail plus long. Ce qui fait qu’aujourd’hui le temps de travail hebdomadaire moyen réel se situe en France à 39,4 heures (chiffres cités par Le Monde). Soit plus que le temps de travail légal d’avant la loi RTT.
Des constations qui font dire à Xavier Timbeau, expert à l’Observatoire français des conjonctures économiques, dans Le Parisien que « d’une certaine manière, les 35 heures n’existent plus« . Avant de conclure : « en clair, beaucoup de salariés sont censés travailler 35 heures mais c’est rarement le cas dans les faits«
Et Nicolas Sarkozy ne dit rien d’autre lorsque, bien mis dans l’embarras par Manuel Valls, il précise que « les 35 heures uniformes et obligatoires n’existent plus » (Le Monde). Et même s’il rectifie un peu en expliquant qu’il n’y a pas de sujet tabou, il explique qu’il ne veut pas « toucher au pouvoir d’achat des salariés » ou « peser sur la compétitivité des entreprises ».
Aujourd’hui, plus grand monde pour revenir sur les 35 heures
On peut donc se demander pourquoi Manuel Valls souhaite revenir sur quelque chose qui n’existe plus. Plus que la mesure elle même, c’est donc sans doute plus Martine Aubry qui était visée par sa charge. La « dame des 35 heures » qui sera sa rivale dans la course aux primaires du PS…
Surtout que Manuel Valls est bien seul à vouloir réformer les 35 heures… On a vu plus haut que le président de la République n’est pas très chaud. Les entreprises qui peuvent depuis 2008 négocier des accords de branche pour revenir sur la mesure ne se bousculent pas non plus pour le faire… Et même le Médef, ne l’a pas mis à l’agenda social ! Comme l’expliquait cette semaine Laurence Parisot. On peut se demander pourquoi les entreprises et la droite – si prompts à dégainer contre les lois Aubry depuis 10 ans – ne sont pas plus motivées à l’idée d’en terminer une bonne fois pour toute avec la réduction du temps de travail…
Peut-être parce que le pack « 35H + TEPA » reste malgré tout très intéressant : nous l’avons vu plus haut les Français font en réalité 40H par semaine de travail effectif en moyenne, et la loi TEPA permet de défiscaliser les heures supplémentaires (en moyenne donc 5 heures par semaine). La combinaison des deux lois est donc tout bénéfice pour les entreprises (et dans une moindre mesure pour les salariés). Revenons à une durée légale du travail à 39 heures par semaine et l’on ne pourra plus défiscaliser qu’une heure par semaine contre cinq avec les 35 heures ! Le seul grand perdant de la combinaison de ces deux dispositifs législatifs est l’État. Quand aujourd’hui on pointe du doigt un coût pour la collectivité de 20 milliards d’euros, il faut se poser la question : qui coûte aussi cher ? Les 35 heures ou la loi TEPA ? Ou les deux ?
Les dernières personnes à ne pas vouloir que l’on touche aux 35 heures sont bien entendu les Français. Selon un sondage L’Humanité-Harris Interactive, 56% de Français sont opposés à l’abrogation des lois Aubry, pourcentage qui atteint 77% des personnes qui en bénéficient (Le Figaro). La réduction du temps de travail est aujourd’hui bien ancrée dans la vie des Français.
Un dernier élément à ne pas oublier, comme le rappelle Le Monde, est l’exemple Allemand qui a mis en place en 2009 une mesure basée sur la même logique que les 35 heures :
« En 2009, à la demande des syndicats, Angela Merkel a décidé de développer le « KurzArbeit » (travail à temps réduit): plutôt que de licencier 20 % des effectifs, une entreprise en difficulté baisse son temps de travail de 20 % et garde tous les salariés. Elle baisse les salaires mais l’Etat maintient les revenus. Quand le gouvernement français favorisait les heures supplémentaires (NDLR : avec la loi TEPA) les Allemands réduisaient leur temps de travail. Grâce au KurzArbeit, malgré une récession deux fois plus forte, le chômage a augmenté cinq fois moins vite en Allemagne qu’en France. Si nous avions agi comme nos amis allemands, nous aurions 1 million de chômeurs en moins ! »
Le débat sur les 35 heures est aujourd’hui malheureusement loin d’être terminé. Et leurs détracteurs s’attaquent désormais plus au symbole qu’à la loi elle même, qui n’a plus vraiment d’existence en soi. Et quand ce débat – qui n’a plus lieu d’être – occupe l’espace public aujourd’hui, c’est au détriment des véritables questions à poser. A commencer par le coût pour la collectivité des défiscalisations de la loi TEPA…
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