A la surprise générale elle était cette semaine à quelques voix (49,75%) de remporter la primaire d’Europe Écologie les Verts dès le premier tour. Une grosse claque pour Nicolas Hulot le favoris des sondeurs. Mais un résultat pas si surprenant au regard du parcours fascinant d’une Éva Joly aux talents multiples. Femme de conviction et de parole elle n’a jamais reculé devant les sujets périlleux, comme le témoigne son parcours de juge d’instruction et sa lutte continue contre les fraudes de la grande finance internationale. Le genre de personnalité et de compétence dont la France aurait aujourd’hui grand besoin.
Éva aux mille profils
La première chose qui frappe lorsque l’on se plonge dans la biographie d’Éva Joly c’est qu’elle semble avoir vécu plusieurs vies ! Incroyable touche-à-tout, Éva a tout essayé et presque toujours avec bonheur.
Née Gro Eva Farseth en 1943 à Oslo, d’une famille modeste, elle se fait remarquer en terminant troisième au concours de Miss Norvège en 1962. Elle part ensuite à 18 ans faire la fille au pair à Paris. A cette époque elle s’essaie à plusieurs métiers: dactylo, secrétaire chez Eddy Barclay, couturière… puis styliste et décoratrice d’intérieur. Elle épouse le fils aîné de sa famille d’accueil (Pascal Joly) alors étudiant en médecine. Ils auront ensemble deux enfants.
Elle obtient ensuite une licence en droit et un DEA de sciences politiques. Elle commence comme jeune magistrate à 38 ans au poste de conseillère juridique avant de rejoindre le pôle financier parisien en 1990. C’est le début de la carrière d’Éva Joly comme juge d’instruction ou cours de laquelle les puissants apprendront à redouter sa persévérance et son incorruptibilité. A cet époque Éva instruit trois affaires majeures qui constitueront les plus grands scandales des années 90:
- L’affaire Elf: qui dévoila un vaste réseau de corruption et aboutît à l’incarcération de Loïk Le Floch-Prigent en 1996
- L’affaire des frégates de Taïwan: qui a mis en lumière les principes de commissions et de rétro-commissions permettant le financement des partis politiques grâce à la filière française de l’armement
- L’affaire Dumas-Deviers-Joncour: qui oblige en 2000 Roland Dumas à démissionner de son poste de président du Conseil Constitutionnel
En 1996 Éva Joly participe aussi à l’appel de Genève, aux cotés d’autres magistrats anti-corruption européens réunis par Denis Robert (NDLR: le journaliste qui a révélé la première affaire Clearstream), pour demander un espace judiciaire européen dans le but de lutter contre les malversations financières.
Après toutes ces affaires, las de toutes les violente attaques qu’elle subit et pour ne « laisser à personne les moyens et le temps de se venger« , elle décide de rentrer en Norvège où elle devient conseillère auprès du Gouvernement pour la lutte contre la corruption au sein de l’agence de développement et de coopération (Norad). En 2005, elle crée, avec l’appui du ministère des Affaires étrangères norvégien, le « Network », réseau de juges et d’enquêteurs engagés dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Elle intègre alors le GFI (Global Financial Integrity), un groupe de réflexion américain destiné à établir des règles incitant à plus de transparence.
Appelée par Daniel Cohn-Bendit pour rejoindre Europe-Écologie elle en devient députée Européenne en 2009. Elle poursuit dès lors sur le terrain politique son combat contre les paradis fiscaux. Forte de ces succès elle annonce en 2010 son intention de se présenter sous les couleurs écologistes à l’élection présidentielle.
Des instituts de sondage à coté de la plaque (comme d’habitude)
Ils se sont tous planté ! Et bien comme il faut ! Que ce soit Libération qui titrait en une le 20 Juin « Primaire écologiste: l’avance de Mr Hulot » avec une caricature sans appel pour Mme Joly, ou bien le Journal du Dimanche qui annonce un match plié depuis Février. Une nouvelle preuve – s’il en faut encore – que les instituts de sondage ne valent guère mieux qu’une bonne boule de cristal. Encore que le cristal ne peut être suspecté de tentative de manipulation. Une situation inacceptable que Pandora Vox ne cesse de dénoncer, que ce soit à propos de sondages sur la fiscalité ou sur Marine Le Pen.
Mediapart consacre un article à l’analyse de ce fiasco. François Miquet-Marty, directeur associé de Viavoice qui a réalisé le sondage pour Libé, y explique que « les votants ne seraient pas conformes au panel« . N’est-ce pas justement son métier de trouver des panels conformes ? Ou d’émettre les réserves nécessaires lorsqu’il n’est certain de rien ? Lorsque Mediapart lui fait remarquer la faiblesse de représentativité d’un échantillon de seulement 133 personnes (comme celui qui a été utilisé), il répond qu’il « n’y voit aucun problème statistique » assurant « qu’il est possible d’en tirer des conclusions». Tout va bien donc…
Du coté du JDD Bruno Jeudy reconnait que son article sur le sujet est erroné mais se justifie « l’erreur tient à la nature du corps électoral, très mystérieux. Personne ne savait qui étaient les 10.000 à 15.000 coopérateurs venus s’inscrire sur les listes en plus des 20.000 militants. C’était un corps électoral insondable. Et on n’a pas été assez prudents. » La prudence c’est bien là le problème. Comme son confrère de Viavoice, Jérôme Fourest de l’IFOP (NDLR: qui a travaillé pour le JDD) sort aussi une excuse plutôt vaseuse: «les derniers sondages ont montré que pour la présidentielle, comparativement, Nicolas Hulot ne faisait pas un meilleur score qu’Éva Joly. Ils recueillaient tous les deux 6,5% d’intentions de votes.». Les électeurs auraient donc changé d’avis juste avant le vote, voyant que Hulot n’était pas annoncé avec un meilleur score que Joly à la présidentielle. Ce sont donc les sondages qui auraient tué son sondage… Mais bien sûr !
Un programme très global pour une écolo
Les instituts de sondage n’auront donc pas réussi à barrer la route à Éva Joly en lui promettant du mauvais temps. Contrairement aux militants – ce fameux panel « insondable » – ils n’ont peut être pas pris le temps d’analyser son programme: il a le mérite d’être assez ouvert.
Notamment quand on regarde ses 5 premières mesures en cas d’élection (disponibles sur le site de la primaire écologiste dans sa profession de foi) :
- Une loi de sortie du nucléaire
- Passage à la VIe République avec l’instauration du scrutin proportionnel, le non-cumul des mandats, le droit de vote des résidents étrangers
- Loi sur le revenu maximum
- Abrogation des lois sécuritaires, liberticides (dont Hadopi et Loppsi) et anti-immigrés
- Abrogation de la loi de contre-réforme des retraites
A part la première ce sont plus des mesures à caractère social ou structurel que écologiste. Éva Joly propose donc en réalité un programme global et pas seulement écolo-centré. A longueur de tract elle parle « d’urgence sociale et écologique » (dans cet ordre). Elle a bien compris que les Français attendaient du futur président qu’il s’occupe d’abord des urgences économiques et sociales. « Notre engagement écologiste repose sur un constat partagé : les crises économique, sociale, morale, géopolitique que nous vivons sont à la fois les conséquences et les sources de la crise écologique » annonce-t-elle. L’économique et le social seront donc les leviers de la future écologie. Voilà qui diffère quelque peu du « dogme » traditionnel des Verts. Et qui lui permet sans doute de ratisser un peu plus large que les seuls militants écologistes. C’est cet électorat que les instituts de sondages n’ont pas vu venir. La primaire de l’écologie étant ouverte il ne suffisait pas d’aller interroger les électeurs habituels d’Europe Écologie les Verts (EELV).
Comme à son habitude Éva Joly est aussi combative : « si elles veulent être efficaces, nos solutions se heurteront à des situations acquises, elles mettront en cause des forces puissantes, celles de l’argent, du profit et de l’irresponsabilité, mais aussi parfois, tout simplement, celles des habitudes. » Dans la bouche de l’ancienne juge d’instruction qui n’a pas hésité à braver les puissants, ces paroles sont d’une crédibilité d’or.
Une partie de son électorat est sans doute à aller chercher du coté des électeurs habituels du Part Socialiste. A l’heure ou l’Europe et le FMI impose un nouveau plan d’austérité à la Grèce, aussi injuste qu’inutile, quel candidat à la présidentielle – en dehors des extrêmes – pour s’opposer à ce fonctionnement scandaleux des institutions internationales au service des banques et de la finance ? Personne parmi les candidats aux primaires socialistes en tous cas ! Et surtout pas parmi les socio-démocrates du PS dont le héros Dominique Strauss-Kahn était jusqu’à il y a peu encore à la tête du FMI. Ce courant « altermondialiste » de la Gauche, que l’on retrouve parmi les soutiens au mouvement des Indignés, pourra en revanche compter sur la combativité d’Éva Joly: « Je serai la candidate du refus de la dictature des marchés financiers, de la marchandisation et de la privatisation du monde et de nos biens communs: la vie humaine, l’eau, la terre et l’air n’ont pas de prix !« . Son CV parlant pour elle.
Alors Éva Joly ne sera peut être pas élue présidente l’année prochaine, elle a sans doute beaucoup trop d’ennemis pour cela, mais porter les couleurs écologistes à cette élection, lui permettra peut-être d’entrer au Gouvernement en cas de victoire de la Gauche. Le PS cherchant à s’attirer les faveurs de son électorat pour le second tour. Sa personnalité, son engagement et ses compétences seraient alors tout à fait rafraichissants pour notre pays.
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