C’est sous les platanes d’Avignon, dans le cadre du festival, en partenariat avec « Les ateliers de la pensée » et la « Revue du Crieur » que Joseph Confavreux, journaliste à Mediapart, a organisé le 18 Juillet cet entretien public avec la sociologue et philosophe Dominique Méda. Le but était de penser le travail d’après-demain en discutant des différentes tendances et changement en cours.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’intervenante fournit une présentation d’une limpidité exemplaire, qui est particulièrement précieuse à l’heure où le gouvernement planche sur la réforme du code du travail. En détaillant trois « horizons pour le travail », elle se livre à une analyse prospective, qui a l’immense mérite de dévoiler le choix qui se présente à nous. Quel travail voulons-nous pour demain ?
On traverse une double crise de l’emploi et du travail
Dominique Méda commence l’entretien par trois constatations préalables, qui ont été à la base de sa réflexion:
- Nous sommes des sociétés fondées sur le travail. Le travail structure nos relations et est le pivot des identités, des statuts et des rapports sociaux. Cela n’a pas toujours été le cas, c’est l’une des révolutions du XIXème siècle.
- La norme du travail épanouissement est extrêmement répandu dans les sociétés occidentales et particulièrement en France. Certes le travail est alimentaire, mais on a tous envie de s’exprimer et de dire qui l’on est à travers notre travail.
- Ces fortes attentes sur le travail sont globalement non satisfaites du fait de la double crise de l’emploi et du travail. C’est à dire du fait du fort taux de chômage, mais aussi, du fait de la très grande médiocrité ds conditions d’exercice du travail au quotidien.
Elle détaille ensuite ses trois scénarios pour le travail de demain, dont on comprend qu’ils sont en fait les trois visions concurrentes sur l’évolution à donner au travail.
- Démantèlement du droit du travail: basé sur configuration idéologique selon laquelle ce qui empêche la création d’emploi ce sont les règles qui constituent le droit du travail (règle à l’embauche, règle à la rupture), on va progressivement vers une dérèglementation du marché du travail.
- Révolution technologique: la vague de changements technologiques s’accélère et entraine une bascule. Les changements relatifs à l’intelligence artificielle et ceux provoqués par l’automatisation du travail vont être extrêmement violents et on va vers la suppression de plein d’emploi, voire la fin du travail. Par ailleurs le travail va devenir plus sympathique, plus « fun », et sera plus collaboratif. Il va progressivement se confondre avec le loisir, et se passera de moins en moins dans les entreprises. On se dirige d’ailleurs vers la fin des entreprises, la fin du salariat, la fin du lien de subordination et des organisations complètement horizontales.
- Reconversion écologique: il s’agit du scénario qui prend en compte la question écologique (risque du réchauffement climatique, pénurie des matières premières rares…) qui est éludée par les deux autres. Il accepte l’idée que la croissance – après avoir été porteuse de bienfaits – est maintenant aussi porteuse de maux. Notamment parce notre indicateur phare, le PIB, n’est pas une comptabilité patrimoniale (c’est à dire tenant compte du patrimoine naturel et du patrimoine social), mais se focalise uniquement sur la valeur ajoutée. Ce scénario inclue donc la redistribution du travail et des changements dans la gouvernance des entreprises, en démocratisant leur fonctionnement et en donnant plus de pouvoir aux salariés.
Tout dépendra de notre capacité de résistance
Si le troisième scénario a clairement la préférence de la sociologue, car il permettrait selon elle de répondre à la fois à la crise de l’emploi et à la crise du travail, elle indique qu’à son avis les trois hypothèses se déploieront en même temps,. La véritable question étant la proportion de chacune d’elle. « Cela dépendra de notre capacité de résistance » explique-elle.